Jeudi 6 décembre 2007 : Strasbourg, la voix d’un ami

J’étais le premier surpris.

En rentrant très tard de Mannheim, je devais encore préparer le cours du lendemain pour les représentants des pays du Caucase.  J’étais à Strasbourg et j’ai laissé courir le son et les voix de France Inter. 

Voix connues. Voix de la nuit, forcément. « Sous les étoiles exactement » dit le titre de l’émission de Serge Levaillant.

Une émission pour les insomniaques qui aiment la connivence d’une voix aimante et surtout d’une voix bienveillante à l’égard d’artistes connus ou moins connus. Une sorte de plateau flottant dans un ciel étoilé, où la programmation sort de l’ordinaire. 

Je n’aurais pas reconnu cette voix-là, évidemment. Il y avait plus de quarante années que je l’avais plus entendue. Mais le nom je ne l’ai certes pas oublié ! 

Un inconnu pour beaucoup. Un homme qui se trouvait le plus souvent derrière le rideau : Jean Musy. Un ami d’enfance. A cet âge-là on dit un copain. 

Il n’était pas dans la même classe que moi. Un an de moins ! Cela compte ! Mais il était dans la même mouvance musicale, celle de notre prof de musique, par ailleurs prof de piano à domicile. Il restera notre enseignant de la 6ème à la Terminale…une grande chance.

Jean habitait un joli pavillon, dans une rue perpendiculaire à celle où je vivais, à Colombes.  Il est donc logique qu’il nous soit arrivé plus d’une fois de rentrer ensemble.

Il avait des bases classiques, mais c’est sur les standards de Ray Charles qu’il aimait se faire entendre dans les Fêtes de fin d’année.  

Une des gloires du lycée, ou plutôt un être hors du commun, que nous admirions dans un établissement scolaire modeste qui a grandi au fur et à mesure que je grandissais moi-même.  Un lycée comme il me fallait, qui se crée au fur et à mesure – et qui n’est pas écrasant par son passé trop prestigieux.

Je ne regrette pas en effet de l’avoir inauguré et d’avoir fait partie des trois premières classes de sixième, puis ainsi de suite jusqu’à la dernière année et d’avoir gardé toutes les photos compassées des groupes d’abord masculins, puis mixtes, où je me regarde grandir. Je suis reconnaissant d’avoir bénéficié de ces profs militants – communistes ai-je dit il y a quelques jours – qui avaient choisi la banlieue par devoir. Bon, enfin, la banlieue de cette époque-là, bien sûr. A peine colorée et plutôt prise dans les spasmes de la décolonisation que dans les affrontements communautaires. 

Le prof de musique ne devait certes pas être communiste et le père de Jean Musy non plus.

Peu importe !

Une des gloires de notre lycée, en effet, même si j’oublie un présentateur de journaux télévisés et d’autres, ingénieurs ou aventuriers, dont je n’ai pas suivi la destinée.

Parmi ces gloires, éclatante sur la scène publique, toujours éclatante aujourd’hui au cinéma comme au théâtre, je ne peux oublier la belle, la magnifique, la troublante jeune fille de la classe à côté…en études « Classiques » quand j’étais en études dites « Modernes », puis en « Philosophie » quand j’étais en « Mathématiques Elémentaires ». Fille d’un peintre abstrait et d’une pianiste (encore une) : la miraculeuse Ludmila Mikaël

Il me souvient que la jeune maîtresse d’Yves Montand dans « Vincent, Paul et les autres » d’Yves Sautet, a donné naissance à une non moins troublante jeune femme, interprète de Lady Chatterley, Marina Hands, sa fille et celle d’un metteur en scène shakespearien.  

J’approfondissais chaque jour mes connaissance musicales, grâce aux conseils de ce même professeur, que je bénis de m’avoir poussé à m’inscrire aux Activités Musicales de Jeunes. Répétitions du samedi, Salle Pleyel. Concert du dimanche en matinée au Châtelet. Georges Prêtre, Régine Crespin et Seiji Ozawa, à presque les toucher, au premier rang, parmi les lecteurs de partitions. Pour trois sous !

Aussi vite qu’il a été possible j’ai réclamé à mes parents un poste de radio stéréophonique. Bien avant d’avoir la télévision. Et sur le France Musique de l’époque, Brassens et Brel s’intercalaient entre Shéhérazade, les Comédies musicales américaines et quelques airs de jazz bien sages.  

J’allais au salon de la musique, découvrir les dernières trouvailles techniques et écouter en direct les présentateurs de ma radio préférée et la tribune des critiques de disques. Le salon s’est tenu plusieurs fois dans la Gare d’Orsay qui n’était pas encore devenue musée et se remettait juste des errances de Monsieur K, dans « Le Procès » qu’Orson Welles y avait tourné.  

J’aimais la musique en effet, déjà ! Mais sans doute, sans Jean Musy, je ne serais pas allé écouter Ray Charles et je serais passé à côté de ce qui était en 1963 ou 64, une grande découverte de ma banlieue. 

J’ai beaucoup apprécié Jean Musy compositeur, discrètement apprécié et toujours apprécié sa discrétion, surtout vis à vis de lui-même.  

Je l’ai croisé ensuite une ou deux fois quand je rejoignais mon université parisienne. Il s’était marié tôt. Je me souviens avoir fait la connaissance de sa femme en montant les escaliers de la gare de Colombes. Et je le savais très tôt aussi plongé dans la profession ; accompagnant Nino Ferrer et composant pour lui.  

Mes parents avaient alors la télévision. Enfin ? Je l’y ai aperçu, avec un air d’ennui de devoir se produire sur un plateau de télé un peu paillettes, même si les paillettes étaient alors en noir et blanc. 

Mais voilà, on ne devine pas tout.  Après le travail avec Nino Ferrer, je découvre qu’il est l’arrangeur de l’éternel « Champs Elysées » de Jo Dassin et l’auteur de musiques pour des films de Costa Gavras et Juan Bunuel…et tant d’autres.

On peut ajouter son travail pour Aznavour, Moustaki, Adamo…et mieux encore Barbara et Serge Reggiani. Plus de six cents compositions, je crois. 

Et puis au fond écouter quelques musiques de lui, vaut mieux que tout.

Il avoue que sa fille s’occupe d’un myspace pour lui. On y trouvera une liste d’amis où Jacques Brel côtoie Boris Vian, Rainer Maria Rilke et Erik Satie.   

Alors bonjour Jean qui se plaint de sa vie nocturne, des heures de veille accumulées, de son usure et de son cœur trop gros qui pourrait céder. 

Longue vie Jean.

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