Mercredi 5 décembre 2007, le Requiem à fleur de peau

Il n’était pas si facile de rejoindre Mannheim par cette nuit pluvieuse, mais il existe une sorte de continuité d’autoroutes, un ruban mouillé qui s’insinue dans la Sarre, avant de rejoindre Kaiserslautern et d’atteindre ces grandes conurbations autour de Wiesbaden et Mayence, en passant de Ludwigshafen au terme du voyage. 

A la limite de la Grande Région donc, mais en même temps en Bade Württemberg, dans la remontée du Rhin vers Strasbourg.

Ville princière, ville baroque dont il reste un château et une église jésuite datant de 1760. Palais et églises clinquantes d’un décor non moins princier, dans une ville aux rues perpendiculaires, issues du passé et meurtries par les bombardements qui ont obligé de restructurer l’urbanisme. 

Sept années après ces constructions fondatrices, Mozart venait y séjourner pour une année, avant de se rendre à Paris Une année entière, ce qui est très long pour cette courte vie… ! 

1777-1778. Onze années plus tard la Révolution française frappait l’Europe.

Je comprends parfaitement que dans l’équilibre des représentations des villes au sein du réseau des Routes de Mozart, les étapes significatives de sa vie soient soulignées.

Mannheim est une ville musicale, une ville mozartienne, et combien !

Il y rencontre Johann Christian Cannabich, Maître de Chapelle, mais fera surtout la connaissance d’une famille qui comptera dans sa vie ; qui sera même plus, déterminante : celle des Weber.

Aloysia, dont l’aria qui lui est dédié, dit tout d’un amour de seize ans et Constanze, l’épouse et la mère de son fil. Si l’on suit les biographes, il ne faut pas oublier Josepha, qui sera l’une des premières interprètes de la « Reine de la Nuit ». 

De la pure enfance à la voix cristalline, à l’invective en équilibre qui lutte de toutes ses forces obscures contre la clarté de la Raison, voilà deux bornes pour une fulgurance. 

Je ne pourrai jamais oublier ces jeudis matin – je pense que c’était le jeudi – où, avec un petit poste de radio, installé sous le mastaba posé dans le jardin de mes grand-parents après une exposition coloniale, j’écoutais les deux grands biographes du compositeur enchanté : Brigitte et Jean Massin, qui ont beaucoup écrit, ont aussi beaucoup parlé pour les enfants et les adultes émerveillés.     

Mannheim est également la ville de Johann Stamitz et de quelques autres musiciens, plus connus ceux-ci par les musicologues que par le grand public. 

Lorsqu’il s’est agi de choisir l’événement qui célébrerait la place de Mozart dans cet équilibre des célébrations du XXème anniversaire des Itinéraires culturels du Conseil de l’Europe, la présidente du réseau des Routes de Mozart, l’italienne multilingue, Maria Majno a donc retenu cette ville au passé fondateur et elle s’est appuyée sur le très solide Professeur Meister, directeur de la Staatliche Hochschule  für Musik und Darstellende Kunst dont l’école bruit de jeunes élèves venus du monde entier, et où les Coréens, côtoient en nombre les Japonais et les Chinois, pour en préparer le programme. 

Une école où, le matin, Mozart, au milieu des enfants des petites classes, commentait la richesse des instruments et où l’après-midi, les jeunes élèves apprenaient les rythmes de la petite musique de nuit, dans le tourbillon des mains claquées et des pieds frappés. 

Où es-tu Aloysia ?

5 décembre. Hiver encore sans neige. Hiver de mort et de résurrection d’un génie. 

La date était bien entendu choisie, comme un véritable double anniversaire. 

Nous sommes tous hantés, depuis le film de Forman, par le fantôme de Salieri à qui Cécilia Bartoli a rendu justice voici trois ans, avec juste raison. 

Mais peu importe, nous sommes cependant tous pris par la tragédie du Requiem.

Un remord ? Un simple remord ? Ou une course ?

Rien de plus profond, rien de plus juste, rien de plus théâtral.

Et au fond de nos âmes ! Toujours la mort s’insinue ; et le froid, et Don Juan qui attend, déjà descendu aux enfers.  

Mozart, aux enfers, est-ce possible ? Est-ce exactement ce qu’il nous dit ? Le désespoir de disparaître, la peur des abymes où il a envoyé le séducteur. 

Nous avons chacun notre réponse et nos doutes. C’est déjà suffisant.

La peau qui réagit, électrisée.  

Dans la Jesuitkirche que Mozart a connue, cette solennité théâtralisée comme l’aimaient les plus grands propagateurs de la Contre-Réforme, plusieurs milliers d’auditeurs ont retenu leur souffle.    

Après la Missa solemnis de Johann Stamitz, les jeunes élèves de la Hochschule, plus de deux cent cinquante d’entre eux, futurs musiciens d’orchestre, ont répété depuis trois mois, pour constituer un chœur et célébrer la mort de l’éternel Mozart, l’Européen, comme s’il formait une partie de leurs jeunes consciences.

Une partie constitutive…à jamais ! 

Et dans cette nuit devenue plus calme, la route de retour vers Strasbourg était plus allègre. 

Une route mozartienne, parmi d’autres.

Une autre merveille cet enthousiasme! Comme si des milliers de musiciens allaient nous sauver. 

Une merveille, vraiment. Comme si, je le répète, cette fois vraiment, les jeunes étaient là, dans le même élan, 230 années plus tard.

Laisser un commentaire