Mardi 4 décembre 2007 : Luxembourg : la mémoire de la baleine

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Abandon à Esch-sur-Alzette

En attendant le départ sur les routes allemandes, je lis les critiques parues dans le supplément littéraire du mois de novembre du Tageblatt. Je reste toujours admiratif devant cette utilisation conjointe du français et de l’allemand dans un même supplément. J’aimerais avoir cette gymnique mentale depuis l’enfance ; malheureusement ce n’est pas le cas. Livres et Bücher, ce n’est pour moi définitivement pas la même chose.  

En dernière page, Jean Portante parle d’un lieu intime. Rubrique offerte chaque mois à un écrivain qui recherche « quelque chose de lui » qui soit aussi « quelque chose du Luxembourg ».  

Jean Portante a de quoi écrire et il l’a déjà fait avec un talent que lui reconnaît le monde littéraire international, mais que, paradoxalement, la France semble ignorer, alors que c’est très certainement un des plus grands écrivains en langue française et un passeur, vers cette même langue, d’écrivains luxembourgeois, comme Guy Rewenig. 

Immigré, ou plutôt, issu d’une famille italienne immigrée au Luxembourg, au pays des mines, il enseigne le français à d’autres immigrés qui veulent apprendre, dans leur pays d’adoption, une des langues officielles et se penche régulièrement sur le travail étrange et fascinant de la traduction.  

« La baleine est le plus ancien des migrateurs vivants ; le  voyage a empêché sa disparition. »

Il s’agit là du point de départ d’un des plus remarquables romans qu’il ait écrit : « La mémoire de la baleine » et que Ismaïl Kadaré a préfacé (édition Le castor astral).   

L’écrivain albanais précise : « En février 1953, la gare de Luxembourg, au grand-duché du même nom, fut le théâtre d’un événement peu commun ; une baleine y fut exhibée, étalée dans toute sa grandeur sur un wagon de train, morte bien entendu, la gueule grande ouverte. Capturée et tuée quelques semaines plus tôt au large du cap Haroy, elle fut baptisée du nom de l’endroit et appelée Mrs Haroy. Avant et après sa halte luxembourgeoise, le cétacé fit le tour de l’Europe. La littérature en est le témoin, ça et là, en Suisse notamment, où elle changea de sexe pour devenir Mr Haroy. » 

Migrant(e) de force. Symbole de tou(te)s les migrant(e)s… Je dois dire que je suis persuadé d’avoir été admirer et sentir (le formol) d’une baleine – la même, une autre ? – avec mes grands parents sur l’esplanade des Invalides, dans les mêmes années. Fascination européenne ? Mais ils ne sont plus là pour me dire si cela est bien vrai et je ne retrouve nulle trace de l’arrêt de cette fameuse baleine, sinon d’une attraction de foire à Pigalle, gérée par une entreprise d’origine suisse. 

La Suisse est là de nouveau. Nostalgie d’un pays enclavé dans les terres, ou invitation à repeupler le Lac de Genève ? 

Mais mon symbole à moi était celui de la recherche de l’exotisme, et non celui du migrant qui rencontre plus migrant que soi-même. 

J’invite donc chacun qui ne connaît pas Jean Portante à découvrir le romancier et le poète.  Et à se perdre dans de longues phrases qui traversent le labyrinthe du cerveau : « Quand je reviens en pensée sur ce que je crois être ma maison natale à Differdange et que je farfouille, les yeux fermés, dans ma mémoire, parcimonieuse et avare, enfouissant et déterrant sans cesse, comme s’il s’agissait du plus précieux des trésors cachés, les quelques détails qui restent, il m’arrive de me dire, tout en faisant le compte de ces détails, qu’une maison natale, c’est tout de même important, puisqu’elle recèle, qu’elle le veuille ou non, que je le veuille ou non, que quiconque le veuille ou non, cette image, ce pouvoir, ce halo mystérieux des premiers jours, de mes premiers jours, du monde qui commence, de mon monde qui commence, cet inexplicable moment où, quelques instants auparavant, on n’existe pas encore, je n’existe pas encore, et puis, je suis là, en vie, comme par magie, une vie après le néant, le noir, le vide, une vie qui se  met à crier, pleurer, rire, réclamer de la nourriture, sentir froid ou chaud, bref, une vie qui surgit de l’obscurité et commence à vivre, alors que, il y a une heure encore, un jour, un mois, une année encore, la lumière existait malgré cette obscurité, la maison existait sans cette vie, tout comme elle existera après cette vie, entre deux obscurités, quand cette vie ne sera plus là, quand je ne serai plus là, quand je serai mort, ou parti, ou quand j’aurai déménagé, déserte, abandonné, ce qui revient au même, du moins du point de vue de ma maison natale… » J’arrête là !  

Et à revenir à un style incisif et factuel : « Il fait froid dans la gare. C’est déjà le printemps, mais il fait encore très froid. L’hiver ne veut pas se terminer cette année-ci. Alfredo n’est pas de bonne humeur. Avec les gelées de la nuit dernière, et celles des nuits précédentes, il n’a rien pu faire dans les serres. Le sol était dur comme une pierre tombale. » 

Dans ce lieu intime là son grand-père survit.

« J’imagine une sortie secrète de la mine. De là, chaque soir, quand rien ne bouge plus autour et à condition que la lune soit noire, grand-père s’extrait puis s’envole. Son voyage ne dure qu’un battement d’aile. Quand il se pose sur la dalle en granit de la tombe de papa, ce dernier l’attend déjà. Les histoires de la mine l’intéressent. Alors grand-père se met à raconter… » 

Le Luxembourg est propice à ces lieux intimes qui jaillissent presque par hasard, tant la pudeur ordinaire les recouvre.  

A se demander pourquoi ce n’est pas sur eux que le cerf bleu s’est penché !

6 commentaires sur “Mardi 4 décembre 2007 : Luxembourg : la mémoire de la baleine

  1. Je me souviens en effet d’être allé, enfant, voir une baleine puante et flasque sur l’esplanade des Invalides; c’était en 58-59… J’aimerais beaucoup en savoir plus !

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  2. Cette exposition d’une baleine aux Invalides se situait précisément l’année 1953. Mes parents nous avaient emmenés, mon frère et moi voir cette « attraction » . Je possède une carte postale de cette époque avec le commentaire « la baleine JONAS ». Par contre , j’étais vraiment trop jeune pour me souvenir des commentaires du « présentateur ». Ce jour là une anecdote supplémentaire me revient en mémoire: à côté de la baleine « JONAS », sous chapiteau était présenté le « plus gros goujon » nommé « nanar ». Une arnaque destinée à renflouer je ne sais quelle association!

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  3. l’histoire des baleines « on the road » est formidable!
    j’en ai vu une exposée dans ma ville natale Fribourg en Suisse, ça devait être en 1952. Elle était effectivement sur un wagon, mais je ne me souvien plus de son nom. Disons plutôt que ma vie a été marquée par la baleine puisque j’ai tourné avec elle de 1961 à 1977. La mienne de baleine s’appelait Goliath, puis elle a été rebaptisée Europe lors de son séjour à Paris devant le Palais de sports de la Porte de Versailles. J’ai aussi été confronté à la première guerre des baleines en 1959 (à ma connaissance) entre Jonas et Goliath en Finlande… c’est tout une histoire qui m’a porté dans les Pays de l’Est de 1961 à 1968, puis la Grèce, Israël, l’Italie, la France et la Suisse. J’en appelle à tous ceux qui nous auraient visité pour étoffer mon livre car ma mémoire s’en va petit à petit; mais grâce à des restes de notes, j’ai déjà pondu plus de 600 pages. Merci de me contacter.

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    1. Bonjour , j’ai le souvenir d’avoir vu en compagnie de mon père à Tours une baleine qui se nommait « JONAS « je crois, qu’elle était morte, dans grand bocal dans un liquide ( formol ? ) dans un camion et cela boulevard Heurteloup, dans les années 50/ 60… moi-même écrivant des textes , histoires, nouvelles, etc …je vais prochainement me rendre aux archives départementales pour en savoir plus. Cordialement

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    2. Bonjour,
      nostalgie de l’enfance, et aujourd’hui passionné par les baleines et tout ce qui est vivant sous l’eau, j’ai fait le rêve cette nuit même d’un souvenir de gamin…
      Souvenir d’été, enfant, de cette longue visite de la baleine baleine « Europe », accompagnés de mes parents, à mon village natal, sur le littoral méditerranéen, à Port-La Nouvelle dans l’Aude (11). Je ne voulais plus sortir du chapiteau ! Encore les images de cette baleine monstrueuse, odorante et fascinante ! Il y avait même un bocal avec l’œil je crois à l’intérieur ! Je recherche des infos, des documents concernant cette fameuse baleine Europe…
      Merci de votre aide…
      Franck un ardent défenseur des baleines, ayant gardé une âme d’enfant.

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  4. Bonjour j’ai toujours gardé en mémoire d avoir vu à Montelimar la baleine Jonas je devais avoir 11/12 ans donc 1953 est sans doute la bonne année. Elle était exposée dans la remorque d un camion

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