Dimanche 8 juillet 2007, Grenade, toutes les merveilles du monde

Baeza. La Renaissance espagnole. Cliché MTP.

La date était bien choisie. 7/07/07. Nul doute en cela ! Derrière cette opération de communication qui se pare des plumes du paon, il y a une simple question de fric. Mais sans nul doute non plus, c’est une belle opération ! Les sept nouvelles merveilles du monde ont eu, comme il se doit, les honneurs de la presse. 

On aurait pu penser que cela ne resterait qu’un moyen d’atteindre un public avide de symboles et friand de toutes les opérations qui s’apparentent à la démocratie directe. Mais l’auteur de cette opération, Bernard Weber, a su orchestrer le désir inconscient de quatre-vingt-dix millions d’électeurs à qui l’on parle régulièrement des sites du patrimoine mondial et des batailles qui se déroulent dans les coulisses, pour aller jusqu’au bout de la logique des labels.  Il s’agissait en effet de donner l’impression d’une impartialité fondée sur le vote populaire, alors que tout le processus tenait compte d’un ensemble d’équilibres instables où les modes, les influences politiques, les achats de vote, le lobbying direct, l’image trompeuse d’un tiers-mondisme de façade, constituaient autant de poids qui ont fait pencher pour de mauvaises raisons, les plateaux de la balance, d’un côté ou de l’autre. 

Jeronimo Paez. Cliché MTP.

Tandis que le flamenco rassemblait dans une nuit superbement parfumée tous les participants présents à Baeza – une ville sur la Liste du Patrimoine mondial – pour un colloque sur la conservation des sites archéologiques à une époque de conflits (pour mieux dire en temps de guerre), une question était dans toutes les bouches : est-ce que ce qui nous unit aujourd’hui entre Andalous et Jordaniens, c’est à dire l’Alhambra de Grenade et le site de Pétra, nous réunira encore après minuit quand, à Lisbonne, la liste définitive des sept vainqueurs sera proclamée ?  

Il faut dire que ce colloque réunissait 80% de délégués des pays arabes. Jeronimo Paez, le Directeur de l’itinéraire de l’héritage andalous qui m’y avait invité, fastueusement, comme il sait le faire, souhaitait que les messages des itinéraires culturels du Conseil de l’Europe trouvent une écoute, voire plus : un dialogue avec les Marocains, Algériens, Tunisiens, Jordaniens, Iraniens, Turcs…présents.  Cela n’a pas manqué. 

Mais en même temps que l’on écoutait des communications savantes sur le meilleur moyen d’éviter que les populations autochtones ne soient débordées, voire chassées ou déplacées, comme à Pétra, en faveur d’un tourisme de consommation qui vient faire collection de la beauté grandiose d’un site dont l’image creusée dans le rocher est dans toutes les consciences, ou sur le moyen de créer des circuits alternatifs pour les deux millions et demi de visiteurs qui pénètrent dans les Palais des petits princes de l’Alhambra et du grand Empereur Charles Quint, et dans les jardins où soufflent les zéphirs venus de l’Albaicin, une certaine schizophrénie régnait : et si on gagnait ? Et si un tel match avait du sens ? 

Alhambra de Grenade. Cliché MTP.

C’est sans doute ce que s’est dit le précédent Ministre de la Culture français en s’enfonçant dans les destinées précaires d’une Liste du Patrimoine Européen, avant de s’enfoncer complètement politiquement et de disparaître. Ancien ministre, ancien élu et futur battu aux élections municipales de Tours. On aimerait savoir qui lui a soufflé cette idée malheureuse ?   

Le lendemain matin, la presse de Grenade montrait des photographies des élus dépités qui avaient cru jusqu’au dernier moment faire la fête dans le stade où la population grenadine était réunie comme pour une coupe du monde. « Les équipes de la municipalité ont bien fait leur travail » a déclaré en fin de soirée la directrice de l’Alhambra qui a rang de Vice-Ministre du gouvernement andalous. Comme un entraîneur de foot après un match perdu !     

Eh oui, le Président Lula a eu la présence d’esprit d’acheter un million de votes pour le Christ de Rio et un tiers de la population jordanienne a pu voter grâce à un Roi efficace et moderne ! 

Et les édiles de Grenade et de l’Andalousie n’ont même pas pensé que le monde arabe pouvait aussi se reconnaître dans les patios, les alcôves, les jeux d’eau et l’équilibre magique d’un tapis volant que des princes décadents ont porté au sommet du raffinement sur une colline magique. Et que par conséquent, un réservoir de votes avait été totalement négligé ! 

Paradoxe ? Non, simple aveuglement. 

Après avoir parlé avec les uns et les autres, à propos de territoires que je connais mal, ou que je ne peux même pas réellement comprendre, en tout cas où je sais que je ne me rendrai pas, même s’il serait tout à fait passionnant et utile de tracer des itinéraires entre la Mer Morte et la Mer Rouge, je suis revenu à Grenade pour recevoir un magnifique cadeau. Une visite personnalisée de l’Alhambra avec un guide hors du commun, Daniele Grammatico, ancien correspondant de Libération au Caire, né en Sicile, grandi aux côtés de parents diplomates en poste dans le monde arabe, et étudiant à Paris. 

Lire le monument en arabe, en découvrir les messages secrets, souvent répétés, volontairement ésotériques, et vibrer dans la lumière de fin d’après-midi, avec le bruit d’un filet d’eau qui capte toute l’intensité de l’espace, juste en glissant sur le marbre, est un cadeau, parmi les plus beaux que mon métier m’apporte, parfois. 

Dans le contexte même de cette lutte bizarre pour être le plus beau monument, ou, plus récemment, le plus horrible camp de concentration, puisqu’il s’agit aussi d’un argument touristique, le vent qui s’engouffre dans les arches pour ventiler les niches des moineaux, donne le sentiment que l’on devrait faire d’abord voter les aveugles.  

Leur sensualité ferait certainement merveille et livrerait une liste d’une nature plus secrète.  

Quel est en effet le son le plus doux et le plus apaisant ? Celui d’un arbre légèrement agité par le vent du soir dans un jardin installé pour le séjour de Charles Quint jeune marié, celui du sable qui tournoie devant la falaise d’un palais troglodyte, celui qui semble assurer l’envol du Christ, ou bien la vibration incessante de la ronde des voitures devant le Capitole ? 

Alhambra de Grenade. Cliché MTP.

Daniele est en voie d’achever les guides qui présenteront le dernier itinéraire sur lequel la Fondation Al-Andalus est en train de travailler : la Route des Omeyades (Damas – Tripoli – Beyrouth – La Mecque – Jérusalem – Le Caire…jusque Grenade et surtout Cordoue). 

On revient ainsi doucement au propos sur le dialogue méditerranéen. J’apprécie son récit des rencontres. Je l’interroge beaucoup. Je l’envie un peu. 

Mais doucement…la nuit arrive, et, face à face, l’Albaicin où il m’a invité pour boire une bière, permet de regarder le monument défensif, lisse, ne laissant rien deviner de son luxe décoratif en coquille, atteindre l’illusion d’un brun clair, irréel, entre lumière du couchant et lumière artificielle. 

Je suis pris dans un tourbillon depuis plus de deux semaines. Mais dans ce vortex, je me tiens aujourd’hui immobile.  

Une merveille, vraiment !

Alhambra de Grenade. Cliché MTP.

  

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