Dimanche 4 février 2007, Luxembourg, entre les massifs de grès

Cliché MTP

A quelques minutes de voiture.  

Le Mullerthal est un des sites où je peux me rendre rapidement lorsque je souhaite marcher sans contraintes, dans une quasi-solitude.

Les sentiers sont nombreux, bien aménagés et me donnent l’impression d’être sortis intacts du temps des peintres de Barbizon, découvrant et faisant le portrait des massifs de grès de Fontainebleau. 

Même s’ils sont bien loin de Fontainebleau, ils me ramènent inévitablement quelques années en arrière. 

J’aimais beaucoup ces chemins enchantés de la forêt parisienne, mais où que j’ai habité en Île de France, il me fallait au moins une heure pour m’y rendre. J’y ai toutefois emmené chaque début du mois de septembre, et ceci pendant au moins vingt ans, presque une centaine de fois au total, des étudiants arrivant à l’université et à qui nous avions décidé, de manière collégiale avec mes collègues, de proposer une grande fresque de la botanique sur le terrain, avant qu’ils ne commencent l’étude au microscope de la diversité des végétaux.  

Après une journée de récoltes, ils déballaient leurs trésors dans les salles de la station botanique à Avon. C’était un grand esclandre de surprises et un grand colloque de noms latins, dont ils entreprenaient le récit et l’herbier au cours du trimestre suivant. Cette station – laboratoire permettait aussi de rendre un hommage à Gaston Bonnier.

Ce dernier, trop peu connu, chercheur en botanique (il a en particulier travaillé sur le nectar des végétaux et établi des ruchers modèles dans cette station), soucieux de la vulgarisation scientifique, a travaillé à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Il a préparé une Flore complète de la France, de la Suisse et de la Belgique, magnifiquement illustrée de planches en couleurs, une flore du Nord de la France et aussi un petit ouvrage pour la récolte des plantes dans la région parisienne dont chaque étudiant faisait l’acquisition.  Tous ces livres sont toujours en usage et – pour ce qui concerne les éditions anciennes – très recherchés.  On aura une idée de l’intérêt de son auteur pour le dialogue avec le grand public si on cite le titre de l’une de ces éditions : « La botanique en chemin de fer ». Inutile de préciser que les « Guides bleus » ont eux aussi commencé avec des éditions qui décrivaient, étape par étape, ce que l’on pouvait découvrir des fenêtres du train.  J’ai des souvenirs forcément émus de leurs lectures, dans le train, avec mon grand-père, puis de celles que j’ai faites avec mes parents, le long des voies ferrées de Suisse, d’Autriche et d’Allemagne. 

Est-ce que le rythme du train, au moins de ces trains à vapeur dont il est question ici, et celui de la marche, ne sont que des créations mentales nostalgiques, ou bien des retours nécessaires vers un monde plus durable ? 

Dans tous les cas, le Mullerthal fait partie des cadeaux que le Luxembourg a su me faire, que le sol soit gorgé d’eau, recouvert des feuilles, à l’automne, ou qu’il porte les traces récentes des animaux de la forêt, qu’il résonne de chants d’oiseaux ou du martèlement des pics. Ce sont des émotions rares, d’autant plus rares qu’elles ne sont pas galvaudées.  

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J’y retrouve, une heure de temps, un des pans de mon équilibre mental et physique, celui qui repose sur le besoin impérieux des odeurs et des sons naturels, mais aussi du spectacle précieux des constructions végétales – murs de mousses et de lichens, tapis de fougères, clairières en voie de fermeture, pré-bois, sous-bois de bulbes colorés… – dont j’ai appris et fait connaître pendant des années, les relations subtiles, les avancées sauvages, les indicateurs de la nature du sol et de l’évolution du climat, comme les étapes de la vie collective des espèces.  Une connaissance qui m’a très vite rendu familier du travail de Gilles Clément sur le « jardin en mouvement » ou le « jardin planétaire » lorsque j’ai eu à mettre en œuvre un itinéraire culturel sur les Parcs et Jardins en Europe.   

J’admire toujours chez Gilles, depuis que je l’ai rencontré en 1993 pour entendre ce qu’il pensait de ce projet d’itinéraire, cette parole douce, forte, subtile, dont la pertinence gagne du terrain chaque année auprès des professionnels et dont les évidences sont parvenues auprès du grand public grâce à de superbes expositions…et tout simplement grâce à des jardins, exigeant cependant une lecture attentive. 

Je ne suis toujours pas allé visiter le Musée du Quai Branly. Je sais que Gilles Clément s’y retrouve en compagnie de Patrick Blanc, autre chercheur – extravagant celui-là, avec ses cheveux teints en vert – qui a su faire passer dans les médias la notion de mur végétal fondé justement sur les équilibres et les relations entre les végétaux dans un milieu riche en eau qu’est la forêt tropicale. 

J’ai été un peu triste que Patrick Blanc, découvert à Chaumont-sur-Loire, n’ait pas encore reçu commande pour un travail dans la serre des jardins de l’imaginaire de Terrasson, mais cela m’a valu au moins l’occasion de le rencontrer. J’ai découvert à ce moment-là qu’il avait fait partie des étudiants qui, avec une de mes collègues, ont fait cette excursion de début d’université à Fontainebleau et que la botanique dont il a reçu l’enseignement à Paris VII l’a suffisamment touché pour qu’il rejoigne le laboratoire de botanique tropicale de la rue Cuvier et qu’il puisse trouver un véritable dialogue entre la recherche au CNRS et l’intervention architecturale.  

Une boucle bouclée, en quelque sorte !

Gilles Clément et Patrick Blanc sont d’abord des botanistes, avant d’être des paysagistes.  

Est-ce que je peux avouer que dans les chemins du Mullerthal, c’est à ce profond rapport aux végétaux, que nous partageons, auquel je pensais, ce matin ? 

Des végétaux auxquels nous devons le bonheur de respirer hors de l’eau depuis des millions d’années…Pour combien de temps encore ?

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Un commentaire sur “Dimanche 4 février 2007, Luxembourg, entre les massifs de grès

  1. votre érudition me touche beaucoup. Je suis sensible aux photos et anlyses de notre vilain temps, vilain, oui mais pas tant puisque je puis vous lire et avoir envie, bien que ténue, de faire de vous un ami tant la sensibilté se rejoint malgré, malgré quoi au fait, l’âge m’apprend que les frontières peuvent être abolies et qu’il importe d’être amis autrement dans la douceur et la confidence. La douceur surtout puisque la passion n’est autre que folie, parions sur l’amitié et la connivence. Je tente tous les jours d’être à la hauteur de ce que je suis dans l’intime, comme vous le faites.
    Ceci est un petit coup d’espoir, d’essai, je vis bien dans ma solitudiness… je demande juste de l’exigence mais parfois même pas tant, juste une vraie voix amie, quelqu’un avec qui échanger avec sensibilité…

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