Jeudi 15 mars 2007, Paris, le partage continue

Après la réunion, vient le temps des conclusions. De fait, il s’agit d’écrire un peu dans l’urgence un message qui sera lu à Rome dans quelques jours. L’anniversaire des Traités aidant. 

Nous avons discuté avec Antoine Selosse et Martine Campangne d’une trame plutôt que d’un contenu, mais cette trame accueille volontiers les grands espaces de découverte pour de plus longues échappées. 

Dans cette spontanéité du lendemain, qu’est-ce qui me guide en effet ? Je ne peux ignorer que nous travaillons dans un contexte de célébrations : 50 ans des Traités qui inaugurent ce que nous nommons aujourd’hui Union Européenne, bientôt 60 ans du Traité de Londres qui a créé, le 5 mai 1949, le Conseil de l’Europe. Plus modestement 20 années en octobre prochain que le programme des itinéraires culturels a été déclaré à Saint-Jacques de Compostelle…et encore plus modestement, dix années d’existence en juillet prochain pour l’Institut que je dirige. 

Est-ce pour autant cela qui guide les politiques ? Je veux dire le partage, au-delà du décorum et de la célébration ?  Il s’agissait dans cet après-guerre où chaque empire trouvait ses marques dans un espace dévasté, de réconcilier. Et de retrouver les moyens d’un dialogue.

Mais ce dialogue a été pensé dans le partage entre vainqueurs et vaincus, entre ceux qui apparaissaient comme les bourreaux et ceux qui se ressentaient comme les victimes. Un partage qui a scindé de grands territoires pour longtemps.

Buste de Robert Schuman. Conseil de l’Europe. Cliché MTP.

Les quarante-six pays membres du Conseil de l’Europe, dont beaucoup aujourd’hui, sinon la majorité, ont connu, pendant encore des années, d’autres guerres et d’autres bourreaux que ceux des années quarante, et les vingt-sept états qui se sont épousés dans le cadre d’un Traité majoritairement économiques, ne délivrent pas un message très différent quand il s’agit de trouver la base la plus large.

Une Europe large ne se construit que grâce au rééquilibrage des richesses, grâce à d’énormes efforts de développement des territoires défavorisés, et en restaurant le sens du dialogue et de la paix.  

Mais le fait d’avoir travaillé directement pendant cinq ans à Strasbourg, au sein de l’Institution des Droits de l’Homme et pour un programme dont le premier message est de rendre concrètes ces valeurs-là, justement, m’a laissé penser que l’unification, qui constitue l’essence même de ce travail de réconciliation, ne peut constituer un succès à long terme, que si elle est accompagnée de la prise de conscience par ses habitants de partager une histoire, un patrimoine et une identité créant une citoyenneté européenne active.  

Buste de Winston Churchill. Conseil de l’Europe. Cliché MTP.

A l’encontre même du partage entre les Empires et en relisant tout ce qui témoigne des effets pervers des grandes frontières qui se sont installées grâce aux vainqueurs, assis autour d’une table, à Yalta.

Paix à leurs âmes souvent noires. 

Les organisations européennes ont fondé leur coopération sur des droits fondamentaux. Elles en ont fait des textes juridiques et justiciables : la Convention Européenne des Droits de l’Homme, ou la Charte des Droits Fondamentaux, par exemple. Mais si les Européens eux-mêmes ne sont pas persuadés que ces valeurs sont respectées par tous, s’ils constatent autour d’eux ou pour eux-mêmes que les inégalités ne disparaissent pas aussi vite qu’on le leur affirme, ou que les phénomènes de repli identitaire et les intégrismes reprennent dans tous les pays de la vigueur, ils démissionnent de l’Europe. 

Prix du Partage Citoyen. Sculpture Michel Audiard.

La première lueur apportée par cette commission de réflexion sur le partage citoyen est certainement dirigée vers l’exclusion.

Les exclus sont nombreux ! Mais pour ce qui nous concerne aujourd’hui dans la recherche d’une citoyenneté européenne, bien plus nombreux encore sont les exclus de l’Europe, tous ceux qui pensent que le parcours politique étonnant que nous – nous les sexagénaires – venons de connaître, au contraire de nos parents et grands-parents, ne les concerne pas.  

La coopération européenne s’étend pourtant progressivement à tous les domaines et concerne tous les niveaux de responsabilité. Elle devrait permettre une circulation des idées et des projets entre les citoyens et leurs représentants, une circulation qui traverse les frontières et franchit les barrières des langues. 

Elle est, en un mot, voulue et fondée sur le partage, un partage vécu comme un élément fort de la citoyenneté, un partage citoyen qui permet de réfléchir à de nouveaux modèles économiques et culturels et à de nouvelles manières de travailler ensemble. 

Ces autres modèles, dont les interventions de cette journée exceptionnelle nous ont proposé des exemples, doivent cependant être fondés sur la restauration des liens dans une société éclatée, sur de meilleures répartitions des biens et des connaissances…

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