Mercredi 14 mars 2007, Paris en partage

Catherine Lalumière et Augustin Legrand

C’est finalement grâce à l’Institut Hongrois, un endroit neutre par rapport à l’ambiance pré-électorale française, qu’aura eu lieu une des rencontres les plus stimulantes auxquelles j’ai pu participer depuis bien des années : la commission de réflexion sur le partage citoyen.  

La manière dont le Conseil de l’Europe pousse les itinéraires culturels à gagner une visibilité évidente : celle des panneaux et des logotypes imprimés, me semble bien souvent une preuve de faiblesse. La peur qu’un des rares programmes perceptibles par le citoyen ordinaire, ne soit pas assez « marqué » ? Peut-être ! Mais j’ai plutôt l’impression que ce sont les fonctionnaires eux-mêmes qui veulent se faire remarquer. Mais, bref. Ils sont souvent eux-mêmes, sous la pression de leur carrière. 

Augustin Legrand, Catherine Lalumière, Albert Jacquard, Antoine Selosse et un de des Enfants de Don Quichotte

Les itinéraires culturels ont généré leur valeur en donnant lieu aux lectures les plus concrètes, comme aux plus abstraites, mais pas aux unes contre les autres.

Depuis longtemps, en effet, parce qu’on ne nous le demande plus, en pensant sans doute que la réflexion est trop éphémère, nous n’avions pas eu le temps de faire apparaître, comme une évidence, que les thèmes des itinéraires culturels qui se prêtent au parcours – une grande nécessité en effet les panneaux et les logos – sont souvent aussi les plus aptes à ouvrir une discussion nécessaire et urgente sur les valeurs.

La présence et l’amitié de Gabriella Battaini, Ditectrice Générale au Conseil de l’Europe, qui a toujours manifesté son intérêt pour cette ouverture des itinéraires à la confrontation, nous rappelle par sa présence que culture et société ne veut pas seulement dire culture et économie, comme d’autres membres de cette Institution nous le proposent, en pensant inventer des moyens de sauvetage.  

Suivre la vie de saint Martin, dans son parcours d’Européen, est en soi un défi. Il y aura fallu la ténacité d’un porteur de projet, Antoine Selosse, qui se fait traiter régulièrement de monomaniaque, et la même ténacité de la part de Martine Campangne, qui ordonne le travail de fond, pour qu’un puzzle se reconstitue, en commençant par les épisodes de sa vie tourangelle, pour rebondir en Hongrie, en Italie ou en Slovénie et venir tracer son légendaire au plus près du Grand-Duché de Luxembourg. 

Les élus des petites villes situées le long de la Loire ont profité de cette nouvelle manière de naviguer, entre Candes-Saint-Martin et Tours ou de cheminer en direction de Ligugé, de l’autre côté de la frontière régionale. Le travail avance à grande enjambées, sans jeux de mots. 

Mais le personnage n’a été intégré au programme du Conseil de l’Europe qu’en raison d’un geste dont le légendaire est devenu fondement : la charité. La question qui s’est posée au monde chrétien de prendre en compte des gestes d’inaugurations et d’en faire des vertus, se repose régulièrement à chaque moment de crise des sociétés.

Florence Chauvin, Albert Jacquard
et les Enfants de Don Quichotte

Je ne veux pas insister sur les crises que nous traversons, puisqu’elles sont pour beaucoup d’entre-elles mortelles. A l’échelle individuelle ou sociale ; dans la pauvreté sans recours, dans l’absence d’abris, dans l’éloignement des bases de l’alimentation, dans l’exclusion des camps de réfugiés…Mais – et le phénomène exponentiel est nouveau depuis que l’homme pensant…pense sa place dans l’univers – dans la rupture : rupture patrimoniale par le déracinement qui coupe tous les liens, rupture des cycles naturels, celui de l’eau étant certainement le plus grave, rupture de la répartition des connaissances, par la confiscation au profit de certains et, à l’ultime de l’ultime, rupture des équilibres écologiques qui conservaient depuis des milliers d’années une répartition climatique compatible avec la vie humaine. 

Du manteau partagé au respect d’une consommation partagée, s’ouvre l’espace qui joint le symbole au drame devenu apparent.  C’est cet espace là qu’Antoine et Martine ont souhaité en effet ouvrir, en interrogeant l’attitude de citoyenneté laïque, sans oublier que la plupart des religions ont ouvert un horizon pour la charité et le partage.  

Je reste impressionné par la variété des personnalités qu’ils ont su réunir dans cet effort inaugural et dans un temps très court. J’en ai pris conscience au fur et à mesure où, dans un espace de deux mois, nous en avons discuté en choisissant, en arbitrant, en remplaçant. Et puis j’ai souhaité me mettre le plus tard possible devant l’étendue du champ qui s’était ouvert, de manière à rester dans une dynamique de facilitation des exposés et des questionnements où l’étonnement et la surprise pouvaient et devaient surgir.  

Très modestement, modérer plus de dix heures de présentation où les chercheurs ont côtoyé les fonctionnaires, les consciences morales et les acteurs de terrain, restait au plus simple, une performance. Je ne pouvais qu’aider la parole et prendre le meilleur pour le temps à venir. Il n’y avait durant cette journée, je dois bien l’avouer avec le recul, outre la nécessité de montrer pour chacun le respect qui lui est dû, que le meilleur de chaque personnalité et une écoute mutuelle, souvent fascinée et réciproque, parfois avec excès. 

Cela faisait en effet bien longtemps que je n’avais plus vécu de près la lucidité politique de Catherine Lalumière, quand elle éclaire et s’éclaire de la passion d’Augustin Legrand et des certitudes flutées du Professeur Albert Jacard, des grandes enjambées anthropologiques de Joël Candau ou des modesties efficaces de Florence Chauvin. 

D’un poste d’observation qui m’a été ainsi donné, j’ai d’autant plus regretté que la seule politique lucide présente et présidente de cette réunion, Catherine Lalumière, n’ait plus le pouvoir actuellement de venir au cœur de la mêlée des grands de ce monde à laquelle, elle a un temps participé. 

Mais de tous ces regards croisés, il faut en effet assurer plus longuement les croisements.

Mes notes et surtout l’enregistrement intégral de cette commission vont nous y aider.

Tentes des Enfants de Don Quichotte le long du Canal Saint Martin, Février 2007

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