Mercredi 7 mars 2007, Tristesse…on vote dans mon village

Je ne sais où regarder. Je ne sais qui écouter. Je me demande le plus souvent de quoi on parle et à qui ils parlent. Chaque jour la pièce est nouvelle ; comme si les acteurs tentaient d’essayer tous les rôles.

Mais ce sont bien les mêmes acteurs. Les sujets défilent comme un manteau d’Arlequin. La Nation, l’Identité nationale, l’émigration, la préférence nationale ; des termes qui sont employés dans des contextes plus ou moins racistes, mais qui ne sont pas vraiment mis en perspective, sinon par ceux qui, à la droite ou à l’extrême droite du panel, savent que l’argument d’une protection de la nation contre l’Autre et contre l’Europe séduit presque un tiers des électeurs.  

Mais alors que veut dire le rappel au drapeau quand il prend les traits d’une revendication citoyenne, à la gauche de ce panel. Tricolore, ma génération royale ? Pas celle de mes enfants en tout cas. S’ils se sentent français, ils portent leur regard sur un horizon plus large, ils voyagent physiquement et dans leur tête. Ils ont pris en compte leur propre diversité ; celle du cœur.

Madame Royale, mettez donc le drapeau européen à côté du tricolore, comme un autre symbole de liberté ! 

Qui donc a peur ? Les Français ou les candidats ? 

J’ai la terrible impression que l’on est revenu à une France villageoise. Pas même provinciale ! Les provinces d’aujourd’hui sont des régions qui se savent méditerranéenne, atlantique, transmanche, ou prises dans ces grands ensembles pratiques que la Commission Européenne a dessinés pour susciter des coopérations. Non juste un village ! Et les candidats font la tournée des électeurs comme on fait la tournée des groupes de pression et d’opinion. Que dit-on au bistro, de la restauration du monument aux morts ? Est-ce que l’opposition regroupée autour du clocher ne protestera pas trop si j’accepte qu’on encourage l’ouverture d’une mosquée ? Et la décharge publique ? Est-elle assez grande ? Est-elle trop coûteuse ? Est-ce que les enfants sont vraiment en sécurité à la sortie de l’école et ne devrait-on pas disposer d’une milice communale ? 

Quelle génération s’ouvre donc en France après le petit théâtre d’ombre que la majorité actuelle vient de jouer pour distraire sa jeunesse de protester ? Celle de la réponse en temps réel aux sondages. Le forum citoyen, un sondage ? Vraiment ?

Le destin d’un pays : sa frilosité et ses frontières ? 

Très sincèrement, on va dans le mur ! Et j’ai peur de revivre ce contre quoi mes enfants ont défilé il y a cinq ans : le choix entre le pire et le pire, pour éviter l’infamie du fascisme. 

C’est cela que je sens venir de nouveau dans cet avril 2007 qui s’annonce. Et c’est sans doute ce complexe de l’avril 2002 qui fascine tant les uns et les autres au point qu’ils ne parlent plus que sur le sentiment de l’instant en contournant plus ou moins adroitement le dessin de ce qu’ils auront pourtant à affronter. 

Qui d’entre eux a vraiment dit : l’enjeu de ma candidature c’est de faire en sorte que les citoyens de mon pays se fassent connaître de leurs voisins et apprennent à connaître les citoyens de leur nouveau pays, l’Europe. Qu’ils circulent, qu’ils apprennent à parler avec les accents nés au-delà des frontières. Qu’ils sachent que d’autres Européens les regardent comme un peuple étrange qui devrait relire son histoire à la lumière du projecteur que le reste de l’Europe dirige vers lui. 

Est-il un candidat qui aurait dit que la fierté d’être Français, c’est pour lui celle d’avoir retrouvé les moyens du dialogue qu’un mur infamant avait fait cesser ? Est-ce encore une fois tellement évident qu’on ne peut plus en parler ? Est-ce que ce travail de mémoire est réellement fait, est-il même entamé ? 

La France et l’Europe. La France et le monde. Où nous situons-nous et où se situent-ils ? Comment allons-nous apprendre à travailler et à parler autrement ? 

Allez, je m’épuise. Mais je voudrais bien me réveiller. Assez pour aujourd’hui !

En recherchant le texte prononcé par un ministre roumain, voici presque neuf années, alors que l’on parlait à marche forcée de patrimoine commun, je me suis dit que les sites web des candidats qui ont défendu le Traité constitutionnel devraient en proposer la référence, régulièrement aux électeurs qu’ils respectent.  

Bien entendu, je rêve… 

Monsieur Andrei Pleșu, philosophe et ancien ministre, autre conscience de notre Europe qui en manque, s’il vous plait, au-delà de l’admiration que je vous porte, aidez-moi à les réveiller !  

« Chers invités, 

Aujourd’hui, chaque fois que nous parlons de l’Europe, nous avons tendance à abuser d’une rhétorique du futur. « L’Europe du troisième millénaire », « L’Europe de demain », « Le grand projet de l’Europe unie » en sont les expressions-clefs. Il est normal qu’il en soit ainsi : les gens ne peuvent pas vivre sans faire des plans; en particulier les politiciens ne peuvent vivre sans faire des promesses. Mais au-delà d’une Europe qu’il faut construire, il existe aussi une Europe qu’il faut consolider, qui s’hérite et qui se laisse en héritage. C’est l’Europe des valeurs patrimoniales. Et nous sommes reconnaissants au Conseil de l’Europe pour son initiative actuelle, une initiative qui vise à assurer au futur un passé, c’est-à-dire une base durable. Le futur ne peut pas se construire sans mémoire. L’Europe dont nous avons besoin pour ouvrir le grand chantier de notre destin de demain est le produit d’une lente accumulation de la tradition. Sans le sens de la tradition, l’euphorie de construire devient une aventure risquée, un jeu irresponsable. Sans le sens de la tradition, l’euphorie de construire aboutit, paradoxalement dans le culte de la démolition, un culte que le communisme a servi sous nos yeux, pendant des décennies entières avec une dévotion criminelle. Voilà pourquoi l’Europe de l’Est et Bucarest sont particulièrement bien choisis comme territoires-cibles de cette Campagne. Dans cet espace, le passé patrimonial a été victime d’un assassinat systématique. Les monuments, les valeurs, les grands repères historiques et culturels, ont été érodés non seulement par le temps qui passe et par la négligence des gens, comme c’est le cas d’habitude. Ils ont été aussi disloqués par une idéologie, sacrifiés au nom du politique. C’est pourquoi les politiciens d’aujourd’hui – de l’Est et de l’Ouest – doivent faire le geste réparateur d’une restauration. C’est justement le cas d’une Campagne comme celle-ci, patronnée par l’esprit unificateur du Conseil de l’Europe. 

Le patrimoine européen commun implique non seulement une leçon sur le fait d’assumer le passé, sur la responsabilité et le miracle de la diversité. Il jette une lumière à part sur le problème aigu de l’intégration européenne. L’intégration est, bien-sûr, avant tout, une laborieuse opération d’harmonisation des lois, de l’argent et des procédures administratives. Le jargon de la propagande communiste aurait défini ce qu’on nomme « acquis communautaire » comme « l’effacement des différences entre l’Est et l’Ouest ». Mais si certaines différences doivent être effacées, d’autres doivent être intégrées en tant que différences. « L’acquis » communautaire est un acquis des ressemblances imposées. L’acquis patrimonial en est un des différences assumées. De par son patrimoine, l’Europe est déjà unitaire et intégrée. Non pas comme monoculture aux règles fixes, mais comme un jardin multicolore aux espèces distinctes, sans autre règle que celle de l’harmonie qui prend sa source dans la liberté. 

Chers invités, chers invités de l’Ouest, 

Pendant longtemps on a interdit à l’Est européen de s’adresser à l’Ouest. Maintenant nous pouvons vous dire, enfin, que vous rencontrer apporte joie et espérance. Donnez-nous une chance pour l’avenir, et nous allons, à notre tour, vous donner une partie de votre propre passé. Nous sommes une partie de votre patrimoine. Récupérez-nous. »

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