Jeudi 8 mars 2007, Dominique Fernandez académicien

Cliché MTP

J’avais le livre à mes côtés depuis quelques semaines. Comme un compagnon qui attend son heure. Je l’avais feuilleté en me disant que « L’Art de raconter » de Dominique Fernandez me semblait un acte de foi, dans une fin de vie, un résumé de la passion de toute une existence consacrée à la lecture et à l’écriture. 

Je me suis ensuite très vite aperçu qu’il s’agissait de bien plus qu’un plaidoyer, ou qu’un essai comparable à celui de Kundera sur l’art du roman.

« Le Rideau », que j’avais passionnément et méticuleusement absorbé, comme une éponge, est en effet une suite aux réflexions sur ce moyen d’expression qu’est le romanesque. J’y recherchai alors à la fois des bases pour l’itinéraire de Don Quichotte – sur l’universalité de Cervantès – et un début d’argument pour un itinéraire Dostoïevsky que l’ambassadeur de la Fédération de Russie appelait de ses vœux, sans vraiment savoir en quoi il pourrait constituer un cadre de travail pertinent pour le Conseil de l’Europe. 

Les ambassadeurs ont parfois de ces caprices !

Dominique Fernandez parle bien entendu de Kundera, dans une série de six articles qui sont ici rassemblés. Il en parle avec brio en cherchant les traces de la fêlure de l’exilé.

J’aime beaucoup cette suite de propos sur le voyage et le retour qui sont des thèmes centraux de « L’Ignorance » :

« Irina se décide enfin à rentrer à Prague : car Prague n’est pas seulement la ville d’où Kundera est parti pour l’exil, c’est aussi la métaphore de toutes les patries perdues. Et peut-être perdues définitivement : le Grand Retour, symbolisé par le retour d’Ulysse à Ithaque après dix ans d’errance, est-il encore possible aujourd’hui, où le monde change à une vitesse vertigineuse, modifiant les paysages et les villes au point de les rendre méconnaissables ? Les gens aussi, qu’on a quittés autrefois, se sont mis, pour ainsi dire, hors d’atteinte… »  

Je laisse à chacun le plaisir de la suite de la lecture ce cette série d’articles brillants qui s’est mise en curieusement en phase, en ce début mars, avec « Le Retour du hooligan » de Norman Manea qui se trouve également voisiner avec Fernandez dans mes valises. 

Par ailleurs, Kundera parle de Cervantès dans des termes non moins frappants. La boucle se boucle ! Les phrases sont là aussi magnifiques :

« Un rideau magique, tissé de légendes, était suspendu devant le monde. Cervantès envoya don Quichotte en voyage et déchira le rideau. Le monde s’ouvrit devant le chevalier errant dans toute la nudité comique de sa prose…Car c’est en déchirant le rideau de la pré-interprétation que Cervantès a mis en route cet art nouveau ; son geste destructeur se reflète et se prolonge dans chaque roman digne de ce nom ; c’est le signe d’identité de l’art du roman. »        

De fait, Fernandez consacre la première partie de son ouvrage à l’art du roman, même s’il n’en donne pas le titre sur la couverture. 

Le voyage est également toujours là, comme un passage obligé : initiation ou exil, retour ou boucle sans fin.  

Pour Fernandez, c’est Alexandre Dumas qui devient un modèle, plutôt que Cervantès. Le voyage dans un espace grandiose et dans le temps lui semble préférable à un voyage dans une sombre et folle intériorité. Le mentir vrai, devient une règle pour Fernandez, plutôt que le réalisme ou le roman objectif. Mais dans tous les cas, nul doute que le rideau se déchire quand les personnages se mettent en marche dans la mécanique implacable de leur destin. 

Cliché MTP

Je me suis demandé un instant, à la lumière de l’actualité de l’élection ce jour, si l’ouvrage de Dominique Fernandez n’était pas finalement plus un acte de candidature à l’Académie Française qu’un acte de foi. Ceux qu’il pourfend et qu’il affrontés dans les années 60 et 70, sont passés de mode. Leurs phrasés et leurs syntaxes aussi. Régler de vieux comptes est peut-être aujourd’hui faire preuve d’allégeance à une assemblée plus conformiste qu’il y a trente ans. J’ai douté un instant qu’en passant de la foi à la stratégie, l’écrivain ne recherche vainement un honneur.

Mais comment étouffer ce soupçon qui n’est pas digne ? Car après tout, Fernandez fait partie de ceux qui, en France, ont toute légitimité pour siéger au sein du monde des hommes et des femmes qui ont consacré, comme lui, leur vie à lire et à écrire, leur vie, je dis bien, par forcément toujours leur métier. 

Balayer ce soupçon est facile si je reviens en arrière, très en arrière quand je visitais l’Italie avec mes parents en 1965, avec « Mère Méditerranée » pour guide. Ou bien, c’est reprendre le souvenir, datant d’un peu plus de deux ans, de la lecture passionnée de « La Course à l’abîme » me conduisant, depuis, à la recherche de tous les Caravage que je peux découvrir.  

J’avais ressenti, mais était-ce vraiment une découverte, la parenté établie par Fernandez entre le peintre maudit du Baroque à son apogée et l’intellectuel maudit du XXe siècle, Pasolini. De l’abîme à la main de l’Ange. Il en parle longuement, dans le premier chapitre de ce parcours indispensable pour ceux qui aiment à réfléchir sur l’essence du romanesque. 

Fernandez est un compagnon de voyage qui a écrit sur ses voyages, sur commande d’éditeurs ou d’Instituts français à l’étranger. Je le retrouve à Bucarest, mais ce n’est pas, dans ce pays, mon meilleur guide et son ouvrage est plus naïf que décevant. Il l’est plutôt à Rome, en Sicile, à Saint-Pétersbourg ou à Amsterdam.  

Il reste cependant celui qui entraîne et fascine, se coule dans la vie d’un peintre génial, avant de lui-même se couler dans la mort, le suicide ou l’assassinat, comme s’il y avait participé.

Il semble tout connaître du regard des Gorgones.   

Fernandez, depuis son fauteuil, saura, j’en suis certain, raconter l’Europe à ses confrères, comme un père la raconterait à ses enfants. 

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