Mardi 21 février 2007, Retour de Florence Prodi et Tabucchi au pas de l’oie

Je ne souhaitais pas vraiment faire de mauvais présages, mais après la manifestation de samedi, le vote intervenu au Sénat italien a concrétisé mes craintes. Qu’il ait été mal préparé ou qu’il s’agisse d’un incident de parcours ne me rassure pourtant pas plus. Il s’agit bien d’une mésentente qui grandit dans la population italienne et dont un sénateur a profité. 

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La sagesse de Prodi est d’avoir présenté sa démission pour éclaircir le débat purement législatif et redonner une légitimité à son gouvernement. Mais d’une part, il sait qu’il risque une élection anticipée dont le sort reste incertain et d’autre part, il devrait comprendre que cela ne règlera pas la question d’un nouveau mode de fonctionnement d’un certain nombre de nos démocraties.  

La rue s’exprime, comme l’on dit. Elle l’a toujours fait en temps de crise. Mais aujourd’hui elle continue de s’exprimer au-delà d’une visibilité médiatique immédiate, même si elle la recherche : les images de foule transmises dans le monde entier sont importantes, mais ne sont plus seules. Les opinions individuelles utilisent les réseaux les plus diffus qui atteignent des destinataires inattendus. Elles font naître des leaders d’opinion temporaires qui dépassent de beaucoup, par l’écoute qu’ils recueillent, le succès d’un simple forum informatique. Elles vont harceler certains des membres de la majorité qui ne manqueront pas de poser devant les assemblées une synthèse des questions qu’ils auront reçues. La place du village et le café qui servaient de caisse de résonance pour les élus, de retour hebdomadaire auprès de leurs électeurs est, elle aussi, devenue globale et virtuelle. 

Je ne sais pas si Prodi et son entourage proche l’ont réalisé. Il ne s’agit pas de populisme, au sens traditionnel du terme, mais d’expression diffuse. Populaire, si l’on veut puisqu’elle vient d’une société civile, non civilisée au sein d’association. Une population qui s’exprime de manière désordonnée, mais en utilisant des canaux qui ne lui étaient pas accessibles autrefois.  Et la mise en scène qu’en a fait Ségolène Royal, à sa manière sincère – du moins je le souhaite – ou la télévision, de manière franchement scénographique et plus marketing, sur le thème récurrent : « les citoyens vous interrogent… » à partir de leurs handicaps, de leur place sociale non politisée, de leur authenticité et de leur innocence supposées…change pour quelque temps – combien, difficile à dire – les moyens  et les nécessités de réponses. 

Prodi a répondu de manière démocratique : je dois retourner vers l’Assemblée qui m’a reconnue. C’est un réflexe d’honnête homme, avec des habitudes de démocratie classique, que le Premier Ministre français a par contre oublié. Mais je ne suis pas certain que ce soit la réponse la plus adaptée, en l’état et sur la question précise. Et si elle ne l’est pas, c’est en grande partie parce que son principal adversaire, que l’ancienne majorité n’a pas encore mis de côté, saura, j’en ai peur, utiliser au mieux les moyens d’information qu’il continue de contrôler. 

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Il faut absolument lire, dans ces circonstances, le recueil d’articles que Antonio Tabucchi a inscrit sous le titre bien trouvé de : « Au pas de l’oie. Chroniques de nos temps obscurs ». L’ouvrage est paru avant les élections italiennes en mars 2006 et a été traduit en français dans la foulée. Ce jeu de l’oie, c’est celui qui s’impose, étape par étape, dans l’avilissement que Berlusconi et ses amis ont fait subir à la démocratie et à la justice italiennes.

Le propos est souvent trop heurté, très partisan. Mais il reste imparable. Et l’on peut comprendre d’autant plus pourquoi Prodi tient à suivre les procédures. Ne pas reproduire le modèle offert par son prédécesseur ! Mais les modes de combat qui se sont imposés – y compris une loi électorale absurde trouvée par Berlusconi à la dernière limite pour faire éclater encore mieux les majorités – demande une explication qui dépasse le discours devant les députés. A mon avis, ceux-là, ils ont compris ! Non une explication, comme celle que tente Tabucchi, à destination du public.          

Il faut lire ce livre. C’est même une urgence. 

« Ce livre a trait à l’ici et maintenant, c’est vrai, et les personnages qui l’habitent sont tous désignés par leur nom et leur prénom. Mais ils sont tous, à leur façon porteurs de littérature, car ils incarnent des caractères, interprètent des rôles immuables, ils sont acteurs d’eux-mêmes, se transmettent leur masque depuis des temps immémoriaux. Qu’importe si notre riche parvenu, hautain, vantard, grossier, trivial, ne s’appelle pas Trimalcion. Au lieu d’offrir de spectaculaires banquets avec sangliers rôtis dont le ventre laisse s’échapper un vol de faisans, il offrira des Rolex en or et des croisières en Méditerranée. Néron brûla Rome en s’accompagnant d’une lyre ? Quand quelqu’un brade l’Italie en chantant « O sole mio », n’interprète-t-il pas le même rôle ? Et le perfide conseiller, scélérat, qui déclame sa scélératesse sans honte aucune dans son show télévisé comme si c’était une vertu, n’est-ce pas Tigellin assis sur son siège ? Et le Serviteur ? Et le Traître ? Et l’Histrion ? Et le Vaniteux ? Et la Girouette ? Et le Fraudeur ? Et le Voleur ? Et le Corrompu ? Et le Tartuffe ? Et le Ruffian ? Vous avez vraiment du mal à donner un visage à chacun des acteurs qui interprètent aujourd’hui ces rôles dans la comédie humaine que l’Histoire nous raconte depuis toujours ? N’hésitez pas, faites vos choix. Tel est l’avantage de la littérature : c’est un espace de liberté. C’est pourquoi la littérature a toujours été haïe par tous les régimes autoritaires. » 

Je crois qu’il faut conseiller au « Professore » dans les semaines qui viennent de prendre le temps de la littérature.  Il y trouvera certainement le moyen de ne pas laisser le Voleur et l’Histrion prendre sa place, une nouvelle fois ! 

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