Dimanche18 février 2007, Florence une princesse sage

La statue de Anna Maria Luisa est toute blanche et toute gracile. Elle est restée longtemps adossée à un contrefort du mausolée des Médicis, proche du campanile de San Lorenzo, solitaire, abandonnée et vaguement coupable, subissant seulement la compagnie malpropre des pigeons et le spectacle des vendeurs de cuir. Puis elle a eu droit pendant plusieurs mois à un abri de tôle ondulée lorsque le chantier de restauration est venu se placer de ce côté de la chapelle.  

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Depuis une année et demie que je n’étais plus revenu, je l’avais oubliée à son sort. Et pourtant, le hasard veut qu’au lendemain de la réunion de l’Association Européenne des Vie Francigene, je me retrouve à Florence non seulement au moment du carnaval des communautés étrangères, mais pour une journée d’anniversaire où le Palazzo Pitti, ouvert au public et « gratuito », propose une exposition remarquablement documentée sur l’électrice Palatine, Anna Maria Luisa, la dernière représentante du long règne des Médicis sur la Toscane.  

Journée anniversaire de sa mort en 1743, la ville et ses musées lui rendent donc hommage et invitent les habitants et les visiteurs à défiler devant les trésors qu’elle leur a légués.  Cette exposition qui se prolonge jusqu’au 15 avril constitue en même temps une plongée dans les appartements du Palais, la galerie palatine et entrelace les pièces maîtresses avec Raphaël, Titien, Botticelli et  Caravage.. Elle rend hommage à cette princesse que, aujourd’hui, l’on dit sage : « La principessa saggia. L’eredità di Anna Luisa de’ Medici Elettrice Palatina ». 

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Le catalogue édité pour l’occasion est merveilleux. Je note avec le plus grand intérêt que si Antonio Paolucci, ancien ministre de la culture a commis un texte, l’introduction vient sous la plume de Cristina Acidini. L’ancienne directrice de l’Opificio delle Pietre Dure est enfin devenue Soprintendente per il Polo Museale Fiorentino après le long règne de l’ancien ministre.

Fallait-il une femme pour donner sa juste place à la Princesse, ou bien s’agit-il simplement du hasard des anniversaires et d’une véritable collaboration ? Mon imagination me dit qu’il s’agit, enfin, d’un retour à la raison après des décennies d’ignorance. 

Cette princesse m’intéresse pour une raison que je devrais raconter un jour en réglant mes comptes avec ceux qui ont cherché à me faire préférer la Famille des Lorraine à celle des Médicis et m’ont tourné en ridicule. Je ne retiendrai seulement que c’est grâce à ce travail avorté avec le Conseil Régional et son abominable représentant scientifique que je suis venu si souvent à Florence en 2004.  Outre le sort que l’histoire lui a fait, en lui refusant de continuer une lignée prestigieuse et la piètre opinion que bien des biographies portent sur son caractère, son intelligence et sa probité d’épouse, il est réel que la ville devait un travail de mémoire à cette Grande Duchesse.

Alors que Marie et Catherine de Médicis ont eu droit ces dernières années à de grandes expositions conjointes entre l’Italie et la France, son séjour à Düsseldorf est de l’ordre de l’éloignement difficile et non de la contribution à une expansion européenne de la Famille. Du coup, c’est son retour qui compte, pour clore le long chapitre d’une histoire et en transmettre les fondements à ceux qui écriront le chapitre suivant.

La Loraine est donc plus engagée dans cet hommage que l’Allemagne actuelle. C’est en effet un « Pacte de Famille » « Patto di famiglia » qui l’a rendue célèbre – et particulièrement aujourd’hui. Un pacte avec son successeur, ce François Etienne de Habsbourg-Lorraine qui ne laissera pas un aussi grand nom que Pierre Leopold qui inaugure quelques années plus tard, l’époque moderne de la Toscane et commence les grands travaux d’aménagement.

Ce pacte stipule qu’il n’est pas question de déplacer de la capitale des Etats grand-ducaux, « …les galeries, peintures, statues, bibliothèques, joyaux et autres objets précieux…de la succession grand-ducale” de manière à ce qu’ils restent “des ornements de l’Etat pour l’usage du public et pour attirer la curiosité des étrangers ». 

De qui que vienne la formule, elle inaugure un temps de bonheur éternel pour la ville…et pour l’Etat, devenu Région aujourd’hui.  

Il faut prendre du temps pour passer des bijoux merveilleux, aux trésors baroques : bas-reliefs de Massimiliano Soldani Benzi et petites sculptures de Foggini, Fortini ou Piamontini où le Christ et les rois les plus saints racontent une même histoire. Pour ma part, j’ai consacré un peu plus de temps aux vues de la ville de Florence de Niccolò Furini, dont une partie vient de Nancy et sur les maquettes et dessins architecturaux de la chapelle des Princes…mais certains apprécieront les naïvetés des personnages en porcelaine de Chine et les peintures flamandes qui témoignent de l’extraordinaire circulation des œuvres, qui, comme vers Istanbul, pour l’Orient, ont convergé ici pour le plaisir d’une souveraine que l’on représente toujours avec des yeux étonnés et fatigués. Rembrandt et van Dyck sont présents, comme les grands peintres des natures mortes. 

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A la fin du catalogue, je trouve un article de Rosanna Morozzi sur la destinée complexe de cette fameuse sculpture de Raffaello Salimbeni, depuis l’après seconde guerre mondiale. On y lit le compte rendu de querelles qui ont « enflammé » la presse jusque dans les années 80 du siècle passé et animé en même temps les couloirs des administrations. Trop d’honneur, après trop d’ignorance ? 

Finalement j’espère que je passerai et repasserai devant cette statue tellement convenue, juste pour un hommage furtif.  

Juste pour savoir que nos routes se sont croisées, pour mon plus grand plaisir et pour le temps de la réconciliation avec le travail sur les rapports de la Toscane et de l’Europe.

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