Samedi 17 février 2007, Firenze et Vicenza…la réaction du Prince

Giorgio Vasari, Giovanni Battista Naldini, Défaite des Pisans à Torre San Vincenzo, 1568-1571

Il ne faut pas bouder son plaisir, même s’il coûte une certaine fatigue. La semaine commencée à Strasbourg, poursuivie à Madrid, passant en transit rapide à Luxembourg, se termine à Florence. J’avais prévu de venir en voiture et de passer quelques jours près de Greve in Chianti pour des vacances de carnaval. Les urgences en ont décidé autrement. Je ne resterai qu’un week-end prolongé d’un lundi.  

Je suis conscient que le voyage le plus extraordinaire est celui qui conduit sur les pas de ses propres émotions ; dans les coulisses de l’histoire. Ce n’est certainement pas une occasion unique ou exceptionnelle qui m’est offerte de visiter un palais historique – et quelle histoire – comme le Palazzo Vecchio. J’y suis déjà venu. J’en ai parcouru les couloirs secrets grâce à l’amitié de Valentina Zucchi qui travaille là sur la politique des publics et en particulier pour ce qui concerne les jeunes.  Il est ainsi possible de suivre de vrais parcours secrets, itinéraires qui se poursuivent à travers les espaces privés et moins connus du Palais…le Studiolo de Francesco Ier, Wunderkammer de collection du XVIe siècle, ou encore la Cappella d’Eleonore de Tolède, un environnement maniériste. 

J’avais également assisté aux rencontres avec l’histoire, sous forme de performances et de conversations avec des protagonistes de ce Palais incarnés par des acteurs, tels le Duc Cosme Ier de Médicis ou Eleonore, de nouveau, évoquant avec des costumières la mode de l’époque, l’hygiène, la place des femmes… Une politique brillante et assez unique qui s’adresse à l’intelligence des touristes. 

Les associés qui composent le Bureau de l’Association Européenne de la Via Francigena, avec lesquels je viens travailler dans l’optique de l’habilitation de leur réseau par le Conseil de l’Europe, ont obtenu de tenir session dans la Sala di Lorenzo – tout un programme. Une salle qui se trouve à la limite des espaces offerts aux visiteurs et des bureaux de la Mairie qui occupent une partie des lieux. On pourrait s’y sentir impressionné. On est en fait impressionné, mais la poussière remuée par les visiteurs, n’a rien à voir avec celle qu’on imagine dans le sillage d’Eleonore de Tolède et de tous les Médicis.

La Salle des Cinq-Cents que l’on doit traverser, donne aux réunions qui continuent de s’y tenir, une sorte de solennité écrasante sous l’égide des peintures de Vasari et des batailles qui s’étendent sur toutes les collines de la Toscane environnante. 

Giorgio Vasari, Giovanni Battista Naldini, Défaite des Pisans à Torre San Vincenzo, 1568-1571

Pendant une grande partie de la réunion, je ne cesse de regarder autour de moi. Il faut écrire et parler sous les lustres et devant les peintures. Je me prends à penser que les moteurs de la politique ne changent pas vraiment. Sur ces murs et sur les plafonds, Il n’est question que de batailles, de victoires, de marques du pouvoir, comme au Conseil de l’Europe.

Toute la mythologie symbolique est convoquée à la rescousse, même si les philosophes ne sont jamais très loin pour conseiller le Prince. Dans le temps d’aujourd’hui, le Ministre Rutelli a délégué un représentant, les élus de Rome, de Sienne, du Val d‘Aoste, de Fidenza ou de Parme, dans leur volonté de travailler à un grand projet européen qui les relie sur une route du Moyen Âge, font une référence implicite à ce dialogue qui continue entre le Prince, le Pouvoir et les conseils des scientifiques.  Mais on comprend vite qui prend réellement les décisions ! 

L’Italie constitue un espace où, plus que dans d’autres pays européens, les décisions contemporaines, quand bien même elles prennent en compte l’évolution des modes de consommation de la culture, continuent toujours de se prendre dans les lieux où l’histoire transparaît, sort des murs et continue de marquer les consciences. 

Je m’éloigne un instant pour rejoindre les espaces de la mairie, dans d’autres coulisses, pour me laver les mains. Je ne sais pas ce que la masse des visiteurs découvre dans les toilettes publiques de ce monument, mais dans les toilettes privées, réservées aux fonctionnaires, dont la porte coulisse en silence dès qu’on la frôle, une musique douce, le bruit des vagues et les chants d’oiseau, créent une atmosphère de salon de massage post-moderne.  

Tout à air de couler de source, d’aller pour le mieux.  Les élus que je rencontre sont heureux, eux aussi de la distinction qu’ils viennent de recevoir. Ivana della Portela, archéologue de formation et élue de la capitale, devenue récemment la Présidente de la plus grande agence culturelle italienne, qui gère à Rome les grands événements comme la Nuit Blanche, les expositions de prestige, les musées et les sites patrimoniaux, est particulièrement éclatante. Il semble que depuis l’élection de Prodi et la création d’une alliance un peu éclatée, à gauche, le dialogue entre toutes ces villes qui représentent un échiquier politique large, réunies par un même but européen, dialoguant avec Reims et Canterbury, s’est apaisé. 

En rentrant à l’hôtel, je regarde cependant la détermination d’une grande foule.  Plutôt de gauche ? Pourquoi pas de droite ? Ou sans opinion politique marqué certainement pour beaucoup de participants. Une foule dont l’expression déterminée et diverse et les pointes d’humour me rappelle celle suscitée par Catherine Trautmann qui défilait contre Le Pen à Strasbourg, le 29 mars 1997 en repoussant tous les politiques présents vers une certaine humilité réservée.  

Nous sommes à Vicenza. Ils sont près d’une centaine de mille. Les journaux disent que ce sont les Verts et les Communistes. Derrière, dans la coulisse peut-être, mais devant ? Juste des gens qui semblent contre l’extension d’une base militaire américaine. Qui en fait, de manière diffuse, trouvent qu’on ne les a pas vraiment écoutés. Pourquoi tous ces drapeaux pour la Paix tendus aux fenêtres en 2003, à la même saison, à quelques encablures de la Guerre d’Irak où Berlusconi les a cependant entraînés ? Est-ce à un gouvernement de Centre Gauche de céder de nouveau à une pression américaine et à Prodi d’incarner cette décision ? 

Manipulation politique ? Elle est alors au-delà du calme de mes amis, élus engagés dans la pièce du Prince, à construire une Europe le long d’une route du dialogue.  Leur calme me rassure, mais l’absence d’écoute actuelle du gouvernement m’inquiète. 

Une fois de plus, au temps du carnaval propice aux retournements des pouvoirs, il faut être dans un pays pour le comprendre et pour saisir ce que veulent vraiment dire – au-delà même du cercle géographique où ils s’expriment – ceux qui y vivent. 

Comme les étudiants français il y a un an, les étudiants espagnols, il y a un peu plus, et les foules de beaucoup d’autres pays qui ne veulent pas la violence, mais l’expression et un peu d’attention, il se dit : « …écoutez-nous, nous n’attendrons pas d’autres élections ! Nous ressortirons ».

Si Prodi – et certains de ses ministres – ne veulent pas les entendre, il feront comme nos Ministres français il y a un an. Ils garderont peut-être le pouvoir, mais Prodi perdra ce qui fait pourtant aujourd’hui sa légitimité ; le respect qu’il a su susciter.

Giorgio Vasari, Giovanni Battista Naldini, La prise en 1499 par les Florentins de la forteresse du rocher de Stampace à Pise, 1568-1571

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