Mercredi 22 mars 2006 : le Grand-Duché de Lituanie

Aussitôt quitté Vienne, l’avion survole de grandes étendues blanches. La trace étoilée des villages vers lesquels convergent des chemins se dessine sur un espace autrement uniforme. Mais cette neige là est aussi présente à Vilnius où il faut glisser plutôt que marcher vers les portes de l’aéroport.

Epaisse, en couches, pressée en large tas et pourtant fraîche à la surface, la neige est partout. Elle glace l’air pourtant ensoleillé. On ressent le froid à un petit picotement qui touche très vite les oreilles. La nuit se poursuit dans un gel profond.

Il arrive pourtant qu’en Lituanie le printemps de la nature soit déjà là quand le printemps du calendrier s’affiche. Cette année, ce n’est pas le cas. Et les températures extrêmes de janvier qui flirtaient avec les moins trente-cinq on profondément gelé les lacs, les rivières et les fleuves, laissant la neige s’étaler en surface. Parfois un petit filet d’eau s’écoule encore au milieu. Mais la vie aquatique se déroule en profondeur.

On imagine facilement ce que voulait dire tenter de survivre en hiver, il y a quelques années encore, quand le régime soviétique épuisait le pays pour en tirer les richesses. On l’imagine d’autant plus que c’est encore ce qui se passe en Russie aujourd’hui, comme en Biélorussie, à quelque cent kilomètres de Vilnius. La survie, simplement et l’arrêt de toute contestation au seul profit de la recherche d’un peu de viande et de bois de chauffage.

Les pouvoirs tyranniques tiennent encore mieux quand il fait froid.

Pour moi, Vilnius c’est comme Bucarest. J’y viens régulièrement depuis assez longtemps pour ne rien ignorer de l’évolution politique, voire des personnels politiques que je rencontre de temps à autre. Je vois surtout la ville s’épanouir économiquement, pour le meilleur et pour le pire.

J’ai commencé à y venir il y a trop peu de temps pour y mesurer vraiment directement les séquelles de l’occupation soviétique. Sinon dans certaines têtes et dans certaines constructions.

Ici on a très vite déboulonné les statues de Staline comme de Lénine, et de leurs relais politiques lituaniens et ceci sans nostalgie. Ces statues sont maintenant disposées dans un grand parc près de la frontière biélorusse. Un parc de mémoire, un parc romantique pourrait-on dire. Au bord d’un lac et dans une promenade sinueuse le long des bois de bouleaux…

Plus intelligemment fait que celui de la banlieue de Budapest. Avec de plus un Théâtre du Peuple, une école qui réunit tout l’attirail scolaire des belles années de l’endoctrinement, et un musée de la peinture réaliste. On y mange et on y boit des produits de l’époque de la restriction…pain noir, harengs, arrosés de vodka…dans de petits verres où les marques en hauteur permettent de savoir pour qui on s’enivre…premier trait : pour Lénine, second trait : pour Staline…et tout en haut : pour le Parti.

L’Ostalgie comme on dit. Et une atmosphère proche du film « Good bye Lenin ! », quand le fils doit recoller les étiquettes des produits anciens et passer de fausses nouvelles télévisées où les habitants de l’Ouest de Berlin traversent le mur pour rejoindre les beautés du Socialisme et du collectivisme…Tout cela pour que sa mère, communiste militante, qui est restée dans le coma pendant tout l’hiver de 1989 – 1990 et n’a donc pas connu la fin de l’histoire, ne soit pas emportée par une attaque.

Mais il faudrait parler plus longuement de la création de ce parc et surtout de son créateur…Qui a fait là un lieu de mémoire pour venger son père mort en déportation…

Ici, il y a longtemps que l’on connaît les Russes. On les a connus comme occupants ou comme partenaires, parfois comme alliés, depuis des siècles et ils sont encore présents sur la côte dans la presqu’île de Neringa, à Kaliningrad.

Ils ont rejeté les armées françaises de Napoléon sur les routes et elles se sont échouées dans les champs, victimes du froid et de la faim, de typhus et d’épuisement. On les a retrouvées il y a peu…une dizaine d’années seulement. On les a exhumées et montrées. Elles sont devenues depuis une attraction touristique, surtout pour les Français qui sont encore napoléoniens sans se l’avouer et pour les Anglais qui n’arrêtent pas de vouloir se venger de ce terrible Empereur corse.

Tout cela est suffisamment loin pour être devenu du folklore.

Il n’en va pas de même de l’occupation polonaise d’une partie du territoire entre les deux guerres, puis de la période allemande et enfin de la période russe qui ont laissé des traces profondes dans la société. Ne serait-ce qu’en raison des déportations massives lors des deux occupations. Des Juifs d’abord, force vive de ce pays, puis de tous les opposants. Des deux à la fois parfois. Les camps d’extermination nazis ont été vite remplacés par ceux du Goulag.

Les plus grandes communautés juives, celle de Vilnius et celle de Kaunas, ne représentent plus au mieux que quelques centaines de personnes contre des centaines de milliers à la fin des années trente.

La grande synagogue de Vilnius a été rasée en 1944 et le petit effort d’en reconstituer le souvenir a été annulé dès 1948 par les Russes. On a construit à son emplacement des habitations à loyers modérés de manière à ne plus y revenir. Mais comme les villes sont têtues et savent tout de même garder leur mémoire, le dédale du centre ville parle toujours de l’ancien ghetto. On peut encore y superposer trait pour trait des photographies qui datent de moins de cent ans. Les bouchers kasher, les artisans travaillant dans des échoppes à portes-fenêtres, les pousseurs de carrioles semblent encore présents, même si les boutiques d’ambre et de lin, les restaurants et les hôtels se sont installés à leur place dans ce centre classé sur la Liste du patrimoine Mondial.

En émergeant régulièrement de la masse serrée, les églises baroques somptueuses et un peu anguleuses, toutes restaurées maintenant et tirées de leur allure de témoins meurtris de l’époque d’influence italienne par un badigeon blanc ou rosé, reprennent leur place dans une continuité urbaine assez unique.

On aura compris que j’aime beaucoup Vilnius.

Il est nécessaire d’imaginer l’époque où le catholicisme romain triomphant a permis la construction de tant de merveilles lumineuses. Ici la christianisation est venue tard, vers le XIe siècle…Il en reste un certain esprit des forces de la nature, des dieux cachés dans les arbres et les lacs.

Mais on perçoit aussi la continuité de l’église catholique jusqu’aujourd’hui.

Les dévotions rendues à une Vierge de la Miséricorde liée à la Pologne, dont le portrait recouvert d’or se trouve dans la porte d’Ausros, une peinture scintillante visible de la rue, attirent encore en masse les croyants lituaniens et les touristes polonais.

Terre que le Pape Jean-Paul II a visité aussitôt la révolution de 1991 terminée pour y installer au plus vite un évêque, puis un cardinal. Un voisin, ce pape. Un grand frère. Il faut dire que les amours contrariées entre Pologne et Lituanie tiennent au moment où le Grand-Duché de Lituanie recouvrait le territoire polonais, la Biélorussie et une partie de l’Ukraine actuelles…Beaucoup de Lituaniens ne l’ont pas oublié.

Clichés MTP.

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