Le temps des séries télévisées : César Wagner

Gil ALMA Richard SAMMEL

Je ne dirai rien de méchant sur le nom du héros. Et pourtant, ce n’est pas par manque d’envie. Impérial pour une partie et musical pour une autre. Les auteurs de la série : Sébastien Paris et Eric Verat, l’ont ainsi lesté de deux héritages très lourds…lourds au point qu’ils auraient pu l’entraîner vers les profondeurs de l’oubli et du néant télévisuel. D’ailleurs, le premier épisode de la série qui se passait dans les coulisses d’un stade et d’une équipe de football liés à la banlieue proche de Strasbourg, avait en effet plongé, pour ma part, dans les sédiments d’un oubli total où la pandémie l’avait recouvert de poussière.

Mais cette même pandémie, qui détourne sournoisement nos parcours amoureux vers les salles obscures pour les court-circuiter vers les canapés trop moelleux de nos paresses récurrentes, a provoqué chez moi cette semaine un court-circuit temporel.

Retour à l’envoyeur méprisant, en quelque sorte.

Olivia COTE Bruno TODESCHINI

La ville de Strasbourg que je tiens à distance depuis quelques mois, pour m’aider à clore un long chapitre de ma vie, aussitôt qu’il me sera possible, s’est donc invitée à l’heure des songes, comme pour me narguer, dans la proximité des lieux qui me sont familiers depuis une trentaine d’années.

Du musée d’art moderne aux rues et aux ponts surréalisés au moment du Festival Européen du film fantastique, quand les zombies envahissent les rues. Ou bien encore dans les étages des bureaux de la Communauté urbaine, devenue une communauté européenne d’Alsace, au pied desquels se trouve logé un commissariat qui semble replié sur lui-même. Comme tenu éloigné des quartiers que l’on dit difficiles et qui se trouvent pourtant à portée d’un tramway qui traverse régulièrement les scènes les plus calmes des enquêtes baroques d’un policier agoraphobe et hypocondriaque.

Des Zombies à Strasbourg

Les deux nouveaux épisodes diffusés ces dernières semaines, se situent plutôt dans la moyenne des films policiers français où le Commissaire Navarro, très années 80, issu des liens familiaux d’un Président de la République française, a été écrasé dans la première décennie des années 2000 par un Commissaire au nom de découvreur : « Magellan » interprété dans un registre un peu endormi par Jacques Spiesser et une Capitaine Marleau interprétée dans le registre du loufoque appuyé par Corinne Masiero, dont on ne peut que louer les combats féministes et sociaux.

Des incarnations devenues vintage sitôt que consommés et qu’on peut donc ressortir en les rediffusant à plus soif, en attendant que les tournages puissent reprendre dans des conditions de sécurité sanitaire ?

Pandémie oblige, j’y insiste, la consommation de séries policières françaises a été fort heureusement compensée par l’extraordinaire créativité anglaise, danoise, centre-européenne…soutenue quasiment sans failles par la chaîne Arte.

Pour ne prendre que deux exemples que j’ai suivis avec avidité : « The Killing » ou « Géométrie de la mort » dont les caractéristiques transfrontalières, assumées par des co-productions intelligentes, sont venues en partie combler mon déficit de voyages européens concrets.

Mais je ne veux certainement pas oublier le Commissaire Montalbano, dont j’ai fini par aimer les coups de menton et la rondeur gastronomique, sans doute parce que je rêve en permanence de la somptueuse Sicile. J’aime à me souvenir d’avoir côtoyé pendant quelques mois la froideur du Commissaire Maltese et la glaciation turinoise de l’héroïne de la série « Non uccidere », étrangement traduite en français par une expression italiennes : « Squadra criminale ».

Tous ces titres méritent, chacun, un temps d’arrêt, que j’espère pouvoir prendre dans les semaines qui viennent. Le temps étant la chose immatérielle dont je dispose aujourd’hui le plus, au point de prendre plaisir à le gaspiller vainement.

Mais, revenons à Strasbourg.

Je me suis ainsi promené par écran interposé dans les salles et les escaliers mécaniques du Musée d’Art Moderne dont j’ai longtemps contemplé la façade, depuis mes fenêtres, de l’autre côté de l’Ill. J’ai longé les quais qui ceinturent la Grande Île et en particulier le Quai des Bateliers qui se répandait à droite de mes fenêtres pendant cinq années, avant de devenir un piétonnier.

Promenade au bord de l’Ill

J’ai franchi à plusieurs reprises les ponts qui me sont si familiers, dans un éclairage nocturne parfois ponctué de lumières étranges et inquiétantes.

Je me suis revu devant la façade Art Nouveau de l’Ecole des Arts Décoratifs que j’ai découverte pour la première fois lorsque j’ai été invité à faire partie du jury qui a nommé Pierre Daquin avant qu’il ne rejoigne l’école d’Angers et lorsque j’y ai entraîné les membres du Réseau Européen du Textile lorsque l’Association s’est fondée en tant qu’Association de Droit alsacien.

J’en ai de nouveau parcouru les escaliers, les salles et les ateliers où les membres de l’association européenne ont pu discuter avec les élèves. Tandis que le merveilleux traducteur du Conseil de l’Europe arrivait par miracle à combler par sa sensibilité les hésitations éprouvées par les élèves à mettre en valeur leur travail, encore trop proche des mains qui avaient guidé leur création, avant même que leur pensée donne du sens au geste fondateur.

Musée d’Art Moderne de Strasbourg

Et encore plus étrange, je me suis introduit par effraction dans la grande salle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans le bureau du juge roumain, suspect de trafic sanglant, englué de ce fait au sens propre dans les traces de Dracula. Tout en revenant sur les bords du Rhin, dans les espaces des jardins ouvriers, où j’ai aimé à me promener. Les mafias roumaines qui ont trafiqué les déchets toxiques en polluant le Danube, tentant d’exercer leur emprise sur le stockage illicite de produits chimiques le long du fleuve strasbourgeois.

Cour Européenne des Droits de l’Homme

Images virtuelles et trop lointaines, images en miroir de deux de mes fleuves favoris, tandis que je peux regarder pour l’instant, à chaque heure du jour, l’ampleur paisible du Rhône emplissant le bassin lémanique qui me nargue sous les fenêtres faisant face à la Suisse.

Presque trop de sensations de déjà vu, de déjà vécu et de décalages arbitraires, de moments qui me sont volés, et parfois d’espoirs déçus.

Revenir à Strasbourg et à Bucarest ?

Avec ou sans César Wagner ?

De temps à autres, je l’espère, quand je ne peux plus trouver les arguments pour me raisonner !

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