Voyagez léger

Réunion de Saint-Maurice, Via Francigena. Cliché MTP

C’est la devise que j’ai découverte lorsque j’ai quitté vendredi, au-delà de Bâle, la sphère des radios françaises pour pénétrer sur le plateau suisse dans la sphère des radios romandes. Espace 2 est pour moi plus qu’une radio, c’est une onde bienfaisante que je capte et sur laquelle j’essaie de surfer dès que l’horizon du Léman se découvre… 

« Voyagez léger », conseillaient tous les responsables d’émissions !

Réunion de Saint-Maurice, Via Francigena. Cliché MTP

Du vendredi au samedi matin et ensuite, au dimanche après-midi, quand je me suis remis en route vers Strasbourg, la devise s’est déclinée de multiples manières. D’abord j’ai écouté l’interview de Christophe Clivaz, politologue et professeur à l’UER Tourisme de l’Institut universitaire Kurt Bösch à Sion.

Cet universitaire insistait sur la coupure profonde entre les chercheurs en tourisme – diversifiés dans leurs approches, confrontant les disciplines et capables de définir les touristes et leurs envies – et les économistes créant des modèles rationnels dans lesquels il est peu question de rêve et beaucoup plus question d’uniformité et de rendement maximum.

Tandis qu’entre les deux, de nouvelles formes de tourisme apparaissent en créant des interstices, des niches, des refuges qui, peu à peu, composent une mosaïque dont le dessin ressemble à s’y méprendre aux itinéraires culturels européens. 

Il y a en effet les arpenteurs. Ceux que nous recherchons…

Le cas de Sylvain Tesson, interviewé dimanche après-midi par Charles Sigel m’a d’autant plus passionné que je ne connaissais pas ce parisien dont la jeunesse s’est calmée en escaladant les cathédrales.

Si la varappe l’attire encore, il peut surtout se vanter – il le peut en effet – d’avoir tracé une géographie personnelle avec ses pieds ou à bicyclette sur les routes de la Russie, sur les chemins des évadés du goulag ou dans la Mongolie des yourtes quand il surprend les autorités à fixer les nomades et à vider leur vie de son sens profond.  

Nomades, ils le sont tous, ceux qui s’étaient rejoint à Saint-Maurice pour célébrer l’ouverture d’un tronçon de la Via Francigena entre Besançon et Ivrea. De Franche Comté, en passant par le Jura, le Canton de Vaud, pour se faufiler entre les vignobles et remonter la vallée du Rhône en Valais pour rejoindre ensuite le Gothard, parfois le Saint-Bernard et redescendre le Val d’Aoste vers les rizières piémontaises… 

Arpenteurs et géographes, à leur manière.

Tholon-les-Mémises. Cliché MTP

J’aimais que l’on évoque samedi matin sur cette radio décidément exceptionnelle, tandis que je me rendais à Saint-Maurice, le souvenir de Nicolas Bouvier, disparu en 1998 et dont la veuve, nièce de Denis de Rougemont, que j’ai rencontrée au Puy en Velay, perpétue le dynamisme exceptionnel. Sans doute connaît-on déjà la citation extraite de « L’usage du Monde » :

« Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » 

Et que cette radio passe ainsi, par une connivence secrète, vers Gilles Lapouge dont le dernier ouvrage, toujours à la recherche d’étranges pays, s’intitule « La légende de la géographie ».

« La découverte de la terre est un jeu de colin-maillard. Géographes et historiens avancent les yeux bandés ; pas étonnant qu’ils ne tombent jamais sur le bon coin (…) comme ils se paument tout le temps, ils recensent passionnément les envers du monde. Chaque bévue ajoute un détail à leur atlas. » 

De l’usage, à l’envers du monde, il n’y a qu’un pas en effet… 

Je vais bien entendu rechercher au plus vite la géographie secrète de Gilles Lapouge, née, comme pour beaucoup d’entre nous, dans l’horizon étrange de son jardin d’enfance, dans les ronces à mûres, les fentes des murets, les dessins sur le sable et les traces des baves d’escargots sur l’herbe humide. 

Mais je n’ai pas encore terminé son ouvrage précédent que Sorina Capp m’a offert. « L’encre du voyageur » n’a en effet pas encore tout à fait séché sur mon bureau avec le stylo à plume qui l’accompagnait.   

Thollon-les-Mémises. Cliché MTP

Innocence et chance de celui qui alterne les voyages dans sa chambre ou dans sa bibliothèque et les découvertes du détour du chemin. Avons-nous vraiment besoin de la Chine autrement que dans le papier de nos livres ou de nos manuscrits ? 

« Comment prétendre découvrir un nouveau pays si on n’a pas lu tous les livres, dès lors que les pays à découvrir reposent dans les bibliothèques ? C’est ce qui explique aussi que les écrivains voyageurs, avant de larguer les voiles, se munissent non seulement d’une jumelle et d’une boussole, mais aussi de beaucoup de livres. Les plus avisés complètent leur bagage avec de la patience. Ils en auront besoin. Ils ne connaîtront la montagne qu’ils sont en train de gravir ou le désert qui les pousse à l’extase qu’après avoir lu la description qu’ils en auront faite, une fois regagné leur pays. » 

C’est promis, demain je parle de ma petite marche dimanche dans les alentours pierreux et herbus des Mémises.  

Une manière de parler du bonheur après l’avoir épuisé, pour en goûter l’odeur persistante…

L’usage du monde commence parfois dans l’estive des vaches…

Réunion de Saint-Maurice, Via Francigena. Cliché MTP

Un commentaire sur “Voyagez léger

  1. A propos de la Via Francigena :

    Se superposant au faisceau convergent de routes vers Compostelle, un autre faisceau de routes conduisait à Rome, comme on peut le voir sur cette carte dressée d’après les témoignages de pèlerins du Moyen Âge :

    http://www.villemagne.net/site_fr/rome-tous-les-chemins-menent-a-rome.php

    Parmi ces chemins, la Via Francigena ou « voie des Français », qui n’est pas une route unique, mais un ensemble de parcours pour les pèlerins vers Rome (roumieux) venant de France et du sud de l’Allemagne actuelle. Un de ces multiples parcours connaît depuis plusieurs années une popularité grandissante : celui que consigna l’évêque anglais Sigéric durant son pèlerinage qui le mena de Canterbury à Rome en 990 :

    http://www.villemagne.net/site_fr/rome-via-francigena-sigeric.php

    Toutefois, il serait abusif d’identifier la Via Francigena au seul itinéraire de Sigéric : l’évêque anglais n’est ni le premier pèlerin sur cette route vers Rome, ni celui qui aurait « inventé » une voie nouvelle que d’autres auraient empruntée par la suite.

    Si l’évêque de 990 permet de donner un visage aux millions de roumieux qui sont élancés depuis le haut Moyen Âge vers la Ville éternelle, il serait historiquement plus juste que les pèlerins et randonneurs d’aujourd’hui prennent conscience que la voie de Sigéric n’est qu’une voie parmi d’autres et qu’elle n’est pas plus légitime que les multiples autres variantes.

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