Samedi 4 octobre 2008 : Luxembourg, les sparadraps d’Alfred Brendel

Il était dans mon intention d’accélérer le temps. Simplement parce que cela doit parfois paraître étrange de donner à lire les « nouvelles » du mois précédent, ou pire encore de deux ou trois mois en arrière. Malgré tout, dans la mesure où je me déplace beaucoup ces derniers week-ends et encore plus ces derniers jours, il m’est souvent difficile de trouver la liaison internet adéquate pour pouvoir inscrire les impressions quotidiennes.

Je prends quelques notes, j’accumule des documents et des photographies et je laisse le temps agir. Rien ne m’oblige en effet sinon moi-même au billet nocturne immédiat, sauf un événement exceptionnel ou un énervement particulièrement grave. 

Mes énervements ces derniers temps ont été plutôt tournés vers les spéculateurs et vers le Président français, mais je suppose ne pas vraiment être le seul dans ce cas ! 

Alors il faudra attendre un peu avant que je puisse me rattraper moi-même à la course, de Grenade à Lisbonne et de Lisbonne à Tomar, puis de Lisbonne à Oviedo. Une semaine dans la péninsule ibérique avant de rejoindre Bruxelles, puis de me rendre à Paris sans passer par la case départ… 

Je vais essayer pourtant de réduire le temps. 

Mais ce soir je peux certainement me permettre de revenir sur une émotion. Après la réunion de Strasbourg qui a, sinon apporté une conclusion à mon travail de septembre, du moins permis à deux nouvelles propositions d’itinéraires culturels – les vignobles européens iter vitis et la Route Lübeck à Rome, un chemin vers la Paix, d’être présentées par leurs promoteurs et à dix réseaux de demander leur habilitation, je suis revenu le 4 octobre à Luxembourg pour une occasion unique, un concert à la Philharmonie du Tonhalle-Orchester de Zürich dirigé par David Zinman avec Alfred Brendel au piano. 

Le Tonhalle-Orchester est membre du Réseau « Voies de Mozart » et la Présidente, Maria Majno est venue au Luxembourg pour savoir si le réseau se réunit là en février prochain pour son assemblée générale. Occasion unique parce que je ne vais plus suffisamment au concert en « live », pour trop privilégier le travail nocturne et l’écriture et par conséquent me contenter de la musique retransmise. 

Durant cette soirée, Alfred Brendel faisait ses adieux. Il atteint les soixante-dix-huit ans et trouve que ces soixante années passées devant des spectateurs sont suffisantes. D’autres passions privées le retiennent. Il veut écrire encore plus, philosophie et littérature, je le comprends et regarder de plus près l’art roman de la Province de Parme ! 

Après les « Quattro versioni originali della « Ritirata notturna di Madrid » de Boccherini réinterprétées par Luciano Berio et avant la Symphonie Titan de Gustav Malher superbement traduites, la première avec un humour presque anglais, la dernière avec une grande fougue, Brendel proposait le Concerto N°9 en mi-bémol majeur dit « Jeunehomme ». Œuvre de jeunesse certes, mais de jeunesse inquiète, un peu sombre, que Brendel n’a bien entendu pas choisie au hasard, même si le nom de cette demoiselle méritait le chef-d’oeuvre d’un homme de vingt et un ans. 

A son âge, Brendel s’amuse, s’élance superbement, et chante…au point de monter la voix parfois à la hauteur de son collègue canadien Glenn Gould.

Il joue pour lui…comme pour exprimer une dernière fois son attachement corporel à l’enfant Mozart, trop vite grandi et disparu. 

Maria a tenu à me présenter l’homme, sorti de son labyrinthe musical et attendant le futur souper dans sa loge de ce bâtiment de la Philharmonie de Luxembourg dont le concours architectural voulu par la Ministre Erna Hennicot-Schoepges a été gagné par Christian de Portzamparc.

J’ai accepté, même en gardant l’idée que cela n’avait pas de sens, au moins pour l’artiste. L’entrevue a été brève. Brendel attendait la prochaine étape de ce qui serait son dernier voyage public : la salle Pleyel à Paris. Il continuait à essuyer soigneusement la pulpe de ses doigts. Son regard narquois transperçait ses lunettes épaisses, mais sans traverser ses interlocuteurs. Il est déjà ailleurs. Tant mieux pour lui !  

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Maria me dit qu’il se protège avec des sparadraps. Ses doigts, qui malgré son âge sont la préciosité même. 

Et Mozart continue de vivre dans l’âme des pianistes.

Et Alfred Brendel commence peut-être d’être libre et jeune, comme Mozart !

La Philharmonie de Luxembourg par Christian de Portzamparc

La photographie est de Riccardo Musacchio pour Ansa et AFP. J’espère qu’il ne m’en voudra pas de la reproduire. Elle est magnifique.      

 

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