Dimanche 20 avril 2008, nos frontières

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A Castelvetrano

La semaine qui vient va réchauffer mon sens du mouvement. De Belgique en Espagne, je vais parcourir d’une extrémité à l’autre, du Nord au Sud, le grand Empire de Charles Quint, dont le pays où je vis a également fait partie. Je sais déjà que le Palais de l’Empereur, perfection architecturale, m’attend, au bout de cette route. Et je connais un portrait photographique auquel je tiens, où je m’y penche, en jeune homme. 

Je tiens donc d’autant plus, avant le vent de la route de recommander un autre ouvrage, bien différent de ceux que j’ai ces jours-ci évoqués. Non moins tragique pour autant. 

Il y a d’ailleurs un fort rapport entre mes voyages à venir an Andalousie et en Sicile et ce récit à la fois réaliste et mythique de Laurent Gardé intitulé « Eldorado » et publié chez Actes Sud. Il existe, dans cet espace bleu qui a un jour séparé des îles, façonné la péninsule ibérique et créé au Maghreb une vitrine de l’Afrique tentante pour les touristes, mais chargée de désirs pour l’Europe, des navires dont la tâche est aujourd’hui de recueillir des errants, morts ou vivants, possédés d’une rage absolue, sacrificielle, des fantômes, comme issus d’autant de radeaux de la Méduse.    

Le héros de ce livre, le commandant Piracci, est l’un de ces marins vivant à l’ombre de Catane, ou dans les cendres de l’Etna, quand il n’oublie pas sa vie en parcourant des espaces supposés vides, de ses jumelles tentatrices, qui dénichent parfois des survivants.  

Lampedusa n’est plus seulement le nom d’un auteur exemplaire, mais celui d’une de ces îles qui témoignent des brisures entre les deux continents, au Sud d’Agrigente et à quelques encablures de la Tunisie ou de la Lybie. Place privilégiée pour les navigateurs historiques, elle constitue aujourd’hui un relais proche de Malte pour ceux qui apprennent à mourir plutôt qu’à vivre, à sacrifier leurs vies en commun, à se jeter par dessus bord, à aller jusqu’à la dernière goutte d’eau qui sort de leur corps brûlé. 

Cent aujourd’hui, cinquante demain ? comme une mêlée furieuse vers la pays de l’or.  

Ce livre là le dit et le décrit, ou plutôt il s’incorpore de manière sensible, voire même hypersensible dans des peaux qui s’échangent, celle du sauveur qui se confond bientôt avec le peuple de ceux qui sont à sauver, fasciné par le trajet, la course, les obstacles, les marchandages et la marchandisation des hommes. 

Bien mieux qu’un fait divers, qu’une statistique, même accablante, l’éclairage de la frontière permanente qui se dresse entre les peuples, permet de toucher du doigt et de toucher le cœur. A l’image de ces soldats qui se sont engagés pour un pays dont ils rêvaient comme d’une patrie et auxquels le film « Indigènes » a rendu hommage, ces hommes en marche, qui attendent de rencontrer celui qui leur dira l’avenir, le dieu incarné, voudraient se voir adoptés. Ils quittent leur mère nourricière dont le lait s’est assèché, pour ce lieu mythique, à portée de mort. 

« Plus tard dans la nuit, il aperçut une masse énorme à l’horizon. C’était l’île de Lampedusa. Il ne voulut pas s’y arrêter. La silhouette noire de l’île lui fit une dernière bouée de port avant la haute mer. Le rocher qu’ils rêvaient tous d’atteindre, le rocher qu’il avait si longtemps gardé comme un cerbère fidèle lui sembla un caillou laid qu’il fallait abandonner derrière soi au plus vite. »

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