Lundi 21 avril 2008, vu de Luxembourg, le Sommet de l’OTAN et d’autres frontières

Tbilissi, septembre 2007, photographie Tomke Lask

Du 2 au 4 avril, tandis que je passais de l’Italie à la France par le Luxembourg, se tenait à Bucarest, une ville quasiment isolée du monde pour l’occasion, un sommet, celui de l’OTAN, qui n’a pas soulevé un grand enthousiasme, ni même beaucoup de réactions.   

Peut-être faut-il parfois mieux se taire ? 

Tandis que l’Albanie et la Croatie se félicitaient de leur prochaine entrée dans l’Alliance et que l’ex-République yougoslave de Macédoine rongeait son frein en contemplant l’opposition de la Grèce, chacun repartait chez soi. Quant à l’Ukraine et à la Géorgie, je ne sais pas si les noms de ces pays ont été même prononcés au-delà de l’écume des jours. 

On lit par ailleurs dans ces mêmes dates ce commentaire « autorisé » venant de l’Agence de presse de la Fédération de Russie :

« Tout porte à croire que les alliés européens concentreront leurs efforts, pendant cette période, sur l’amélioration de leurs relations avec la Russie » ou encore :

« Certains alliés estiment notamment qu’il est nécessaire tout d’abord de renforcer la sécurité énergétique (de l’OTAN) avant de délivrer des invitations d’adhésion à l’Alliance à de nouveaux candidats et d’autant si ces derniers sont vulnérables face à la pression de la Russie ». 

Et plus loin, la même agence de presse ajoute finement cette déclaration du directeur du département de la coopération européenne du ministère russe ses Affaires Etrangères, Sergei Riabklov :

« L’OTAN ne doit pas s’étendre dans les Balkans, nous y sommes opposés comme nous l’étions lorsque les pays baltes ont adhéré à cette organisation…Nous menons un intense travail diplomatique auprès de l’Ukraine, de la Géorgie et de l’OTAN, afin d’expliquer à nos partenaires, pourquoi nous considérons que cet axe est nuisible et inutile pour l’Europe et la sécurité mondiale… ». 

Si j’en crois la déclaration du chef de l’Etat français à l’issue de cette conférence, très heureux d’avoir réintégré le commandement des forces de l’OTAN et prompt à citer les bons auteurs :

« Sur la Géorgie et l’Ukraine, nous n’acceptons pas le droit de veto de qui que ce soit. Ces deux pays ont vocation à rentrer dans l’OTAN. Mais qu’on accepte au moins de débattre de la date et des modalités. J’ai beaucoup apprécié l’intervention hier soir de Jean-Claude Juncker quand il a dit :

« Nous n’avons pas peur de Poutine, comme nous l’avons déjà montré quand il s’est agi d’accueillir les autres pays de l’est de l’Europe ». Mais nous voulons vérifier qu’ils sont prêts politiquement. C’est une question de date, de calendrier. N’en faisons pas un problème politique. Ces pays ont vocation à intégrer l’OTAN. » 

Comme la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie et bien d’autres pays avaient « pour vocation » à intégrer le camp des démocraties en 1945…et pour destin… d’attendre les années 90 pour le faire réellement ?  

Tbilissi, septembre 2007, photographie Tomke Lask

Si je reviens sur ce début d’avril un peu longuement et certainement trop sérieusement, c’est qu’à ce moment de l’histoire récente, je me suis surpris à dire : voilà un second Yalta dont les chefs d’Etats présents auront à rendre compte à l’égal de Churchill ou de Roosevelt ! 

Si j’y reviens, c’est qu’au moment où j’écris la mise à jour de ce dernier mois d’avril, c’est à dire en cette première semaine d’août, la guerre vient de se déclencher entre la Géorgie et la Russie, une guerre qui est tout sauf une démonstration musculaire ! Une guerre prémisse, comme on dit d’une secousse avant le grand tremblement de terre. La vraie démonstration, ou plutôt la démonstration en vraie grandeur qui teste le futur adversaire. 

Mais si dans une certaine mesure les USA peuvent y perdre beaucoup en crédibilité, et d’abord en crédibilité, c’est l’Union Européenne pour ce qui est de la politique énergétique, de la politique de sécurité, de la politique tout court et le Conseil de l’Europe avec elle, pour ce qui est des valeurs démocratiques que l’Institution des Droits de l’Homme tente de restaurer entre ses derniers adhérents russes, serbes et caucasiens, qui risquent de tout perdre. Et d’accepter de surcroit la reconstruction d’un mur encore plus dramatique que le précédent, si cela est possible, un mur dont les contours risquent d’avancer dangereusement vers l’Ouest, étape par étape. Plus dramatique parce que les cartes se posent entre des grands blocs superpuissants où l’idée même de démocratie et de droit des citoyens, fait partie du Siècle des Lumières, un Siècle dont la Russie et la Chine ont éteint depuis longtemps les bougies d’anniversaire. 

Europe, future terre d’accueil des touristes russes et chinois qui, dans cinquante ou cent ans viendront y contempler ces grands espaces de culture dont les ruines somptueuses évoqueront le même exotisme que celui des Temples Nazca sur les terres nouvelles des Amariques…et tout aussi indéchiffrables ?  

Kazbegi. Gudauri National Monument, septembre 2007, photographie Tomke Lask

J’attends les voix qui vont dire autre chose que : cessez le feu ! Au-delà de l’arrêt du massacre : les Jeux du cirque à Pékin peuvent s’arrêter, la Russie de Poutine vient de jouer à ressembler à la Russie de Staline et l’Europe ne doit plus ressembler à l’Europe de Yalta, mais à celle qui, à Londres, disait redouter l’effet du totalitarisme sur l’homme simple, celui qui subit, toujours. 

L’Europe de l’homme simple doit arrêter la démonstration russe avant qu’elle ne devienne l’Europe d’une autre honte, celle du marchandage sur un bout de carte, du sort de millions d’hommes, contre un équilibre froid.  

Au lendemain du non de l’Irlande, Jean Claude Juncker, qui a appris à connaître les Mittal, père et fils, depuis le rachat d’Arcelor, avançait quelques faits d’évidence :

« Quelques chiffres suffisent. En 1900, 20% de la population mondiale était européenne, en 2000, 11%, en 2005, ce sera 7% et en 2100, 4%. 500 millions d’Européens seront donc confronté à 8,5 milliards d’hommes. En 2025, la Chine sera la deuxième puissance commerciale, l’Inde la quatrième, juste derrière l’Europe. Les pays de l’OCDE verront leur part dans le PIB mondial passer sous les 40%, égalés par le monde asiatique. Pourtant nous continuons de penser que nous dominons la planète. Or, déjà aujourd’hui, le monde ne nous appartient plus. Le dernier siècle européen a été le XIXe siècle : le XXe s’est terminé en siècle américain, de notre propre faute. La seule leçon qu’il faut tirer de ces faits, ce n’est pas d’avoir peur des autres, ce n’est pas de nous parcelliser, de nous subdiviser, mais de faire de l’Europe une grande région de la planète. Tout nous pousse à l’intégration pour suivre économiquement, culturellement, politiquement, militairement. On devrait dire les choses comme cela. Si les nations font comme si elles n’avaient pas besoin des autres, c’est que nous ne mesurons pas à quel point nous devons notre bonheur relatif à la force conjuguée de l’Union, et que nous refusons de voir les énormes changements qui sont en cours et que nous n’arrêtons pas. Nous n’avons pas besoin des Etats-Unis d’Europe qui feraient fi du fait national. Mais, à force de nous affaisser, nous risquons d’avoir des Etats désunis d’Europe. Nous tenons entre nos mains le destin d’un continent et nous ne le savons pas. »

Tbilissi, septembre 2007, photographie Tomke Lask

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