Dimanche 14 janvier 2007, souvenirs de Paris

Je m’aperçois qu’après une année, je n’ai toujours pas écrit une ligne concernant Paris. J’y suis né pourtant et j’y ai vécu plus de quarante années ! Mais en effet, dans l’espace de 2006, je ne m’y suis rendu que deux fois, et encore pour quelques heures. C’est un signe que quelque chose est complètement détraqué dans le rythme du travail qui m’est demandé.

Cliché MTP

Y venir dans les premiers jours de janvier pour une réunion au Ministère de la Culture a donc logiquement constitué un véritable choc. J’ai senti le besoin d’y parcourir des dizaines de kilomètres à pied.  Il faut mesurer les traces, plutôt que de s’y mesurer soi-même. C’est essentiel à la survie ou tout simplement au respect que l’on doit continuer de se porter. 

J’ai la chance de disposer de ce petit appartement situé face à Beaubourg que ma fille a quitté, pour le temps d’un Erasmus à Coimbra. Je n’y suis pas chez moi. Mais je ne suis pas vraiment chez elle. Tous mes enfants y ont vécu, plus ou moins longuement. J’y ai passé des jours heureux quand j’avais encore le temps, autour des années 2000, de redevenir parfois un parisien insouciant.

Il est sombre, mais lorsqu’on franchit la porte de l’immeuble, on se retrouve devant les longues lignes colorées de Beaubourg, le grand pot de fleur doré de Jean-Pierre Raynaud et une banderole annonçant le centenaire d’Hergé.  

On peut s’asseoir à la terrasse du Cavalier Bleu et regarder la terre entière défiler devant un des monuments parmi les plus visités du monde. 

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Mais le Centre Pompidou me propose d’abord aujourd’hui sa maturité. Trente années en cette fin janvier.  Je me souviens du dessin que nous avions fait paraître dans la revue – revue est un bien grand mot pour les premiers numéros – éditée par le Groupe Tapisserie. Nous avions décidé cette revue, en langue française, pour mieux fonder, de manière critique, les bases de l’art textile et de son langage spécifique au cours de l’histoire et dans son expression contemporaine.  

Devant les tubes qui se levaient autour de cette carcasse somptueusement scandaleuse, des petits lapins avaient creusé un terrier et planté une pancarte : « Driadi ». C’était le nom de la première version de ce qui est devenu, pendant plus de dix ans « Textile/Art » un magazine au service de l’art textile, connu dans le monde entier.  

Le terrier s’est ramifié.  

J’ai eu le plaisir de travailler d’un peu plus près en 1984 et 1985 avec ceux qui ont mené ce bâtiment à bien et que j’ai retrouvés loin de leur chef-d’œuvre, dans l’enceinte du Musée des Arts Décoratifs : Robert Bordaz, premier Président du Centre, était devenu Président de l’Union Centrale des Arts Décoratifs et François Mathey était resté Directeur Général du Musée des Arts Décoratifs, laissant le Centre de Création Industrielle lui échapper et la direction des grandes expositions de Pompidou revenir à Pontus-Hulten. Tous deux sont aujourd’hui disparus. Tandis que Claude Mollard, l’énarque sensible, à qui je dois d’avoir travaillé – en compagnon – avec différentes instances du Ministère français de la Culture après l’arrivée de Jack Lang en 1981, avait été nommé Secrétaire Général de l’Union Centrale, avant de créer le Centre National des Arts Plastiques.  

Ces hommes de cœur et passionnés qui avaient su accueillir les architectes déjantés, ces beatniks de Piano et Rogers et mettre en place le rêve visionnaire, mais un peu flou d’un président de la République, contre les obstacles levés par son successeur Giscard d’Estaing qui détestait l’idée, de disposer au centre de Paris d’un centre culturel haut de gamme reliant toutes les formes de création sous un même toit, avaient été appelés à d’autres fonctions. C’est souvent le cas des pionniers.

Ils étaient sans doute devenus sages, tandis que de leur côté, les architectes avaient revêtu un costume civilisé, sans pour autant oublier d’être créatifs.  

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J’apprends que Germain Viatte vient de publier, à l’occasion de cet anniversaire, un livre sur Beaubourg dans la collection Découvertes. Je dois absolument l’acheter ! Le Centre Pompidou, avant d’être mon voisin grâce à cet appartement de contrebande, a constitué pour moi un centre de gravité où des expositions grandes ou petites ont façonné ma connaissance de l’art et provoqué tant de rencontres personnelles avec des artistes du monde entier, de Wim Wenders présentant au Centre de Création Industrielle son portrait de Yamamoto à Jasper Johns, ce peintre enchanteur, pour n’en citer que deux qui m’ont marqué. 

Je pense qu’après trente années, puisque ma vie de scientifique et d’enseignant a vraiment basculé vers la culture et la création à ce moment-là, j’ai le droit d’éprouver et d’exprimer de la nostalgie et de rechercher les saillies de ma propre mémoire, même devant ma porte.  

Inutile de dire que de toutes les villes d’Europe, Paris est celle où chaque pouce de façade et de trottoir me bouleverse, autant par son usure, parfois son éternité tranquille, que par ses transformations, voire même ses disparitions. 

Heureusement, il n’y a pas que des adieux, mais aussi des ressourcements.

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