Samedi 9 décembre 2006, Luxembourg 2007, que la fête commence

 

Cliché MTP

Il est particulièrement étrange de se tenir là, debout, à l’écoute des discours, dans le vague sentiment que je suis passé à côté de l’occasion et que, par conséquent, au moment du lancement je suis placé à côté !

Il y a plus de trois années, lorsque l’espoir était encore de mise, nous avions beaucoup imaginé. En prenant un thème et puis l’autre : migrations, personnages européens, patrimoine industriel, mémoire…nous avions bâti des scénarios et construit un train qui devait prendre la Grande Région au travers, dans ses retranchements les plus secrets. Faire souffler le vent et provoquer le témoignage.  

Pleins d’illusions. Nous l’étions vraiment.  

Sans doute est-ce là un des objectifs des grands projets : susciter une envie, des envies. Du moins est-ce le but affiché, car en vérité le réalisme des chiffres fait que les illusions tombent vite, du moins pour ceux qui jouent le jeu de la transparence et de l’imagination. Nous n’avions pas, il est vrai, les moyens d’inscrire une activité habituelle dans un programme, si ce programme ne s’ouvrait pas de lui-même à une Europe plus large, c’est à dire à ce que nous sommes. Notre programme est allé en parallèle. Les parallèles, on le sait ne se rencontrent guère.  

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Je commence ainsi dans le regret. Pouvait-il en être autrement au moment où la fête bat son plein ?

J’aurais tellement voulu y participer. Dans les coulisses. Là où l’on jette un œil sur ceux qui prennent du plaisir. Mais aucun des projets que nous avions proposés n’a été réellement retenu. Ou du moins retenu pour de bonnes raisons, ou dans de bonnes conditions. Je n’ai perçu ni enthousiasme sur le plus beau ; « Le train de la mémoire », et je n’ai pas perçu non plus la volonté de mettre sur la table de l’argent à hauteur de l’enjeu. Y avait-il seulement de la confiance ? Je ne crois pas ! Ou simplement l’obligation qu’un organisme européen comme le nôtre soit partie prenante ? La peur de notre protestation ? Peut-être ? Je reste sur l’impression d’avoir participé à un concours avec un esprit de fête, tandis que la fête se préparait comme on prépare un dossier pour la Cour des Comptes. Ce n’est pas ainsi que j’avais travaillé il y a vingt ans sur de grandes expositions ! J’avais tenté alors de donner encore plus de souffle aux envies des artistes ou des designers. Il ne s’agissait pas d’inscrire un label bleu sur des œuvres magnifiques. Mais au contraire, de construire une vision inédite avec les autres, une réalisation qui dessine son propre label, si cela était vraiment nécessaire. 

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Des conceptions non conciliables. Mais j’ai appris à préparer ce que l’on nomme « expositions » avec François Mathey, dans un Musée des Arts Décoratifs où il avait su capturer ensemble l’esprit de Dubuffet et celui du Centre de Création Industrielle. Une autre époque ? 

Je ne veux pas poursuivre dans le regret, même s’il s’agissait de la dernière occasion pour moi de réaliser un rêve, celui d’une exposition aussi ambitieuse que celle que j’ai réalisée à La Villette. La structure que je dirige n’y aurait pas survécu et ici, à Luxembourg, je ne suis plus entouré de ceux avec qui j’ai fait équipe à Paris dans de telles circonstances et grâce à laquelle j’aurais pu apaiser mes craintes.

Je suis venu d’ailleurs, et même en partie aculturé dans ce territoire, à force d’années, je n’y ai pas de souche et n’en reçoit aucune légitimité.  

A vrai dire c’était peut-être la bonne position pour rechercher la place des racines et les contradictions.  M’aurait-on vraiment laissé faire ? Il faut savoir garder la place attribuée. Auxiliaire, certes. Témoin, peut-être ?  Enquêteur, jamais !

Alors, faute de participer, d’apporter la marque d’un long parcours de vie en compagnie de l’imagination, je vais tenter de devenir un témoin. Au moins puis-je être un témoin privilégié. 

J’ai posé la critique au départ. J’en ai pesé les termes il y a plus d’un an dans un court article et j’ai donné les références de cet espoir en publiant l’intégralité des projets que nous avions proposés.  

Je l’abandonnerai là aujourd’hui comme un sac.  Il aura été pesant. Trop, certainement.

Je ne veux plus aujourd’hui bouder mon plaisir. 

Ce n’est pas pour rien que j’ai décidé depuis quelques mois de faire un tour de ma mémoire, comme dans la préparation d’un vide grenier.

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J’aurais voulu le faire dans une exposition ! Manquant de l’ordre, et de la scénographie que j’aurais proposée, je cherche donc jour après jour des pistes pour constituer un espace virtuel à cette mémoire-là.  Je chemine parfois en diagonale, et parfois je butine. Je prends des notes sur mon passé. Je pose les décors et recherche les personnages.

On verra bien d’ici quelques mois si le temps vient de la mise en scène ou celui de la sortie de scène.  

Il me reste encore un peu de temps et d’espoir pour en dessiner les contours. 

Tout ce que le Luxembourg et la Grande Région, Capitale européenne de la Culture en 2007 me proposent, va devenir pour un an un centre de gravité à ce travail sur la trace. Je vais essayer de suivre, parfois de précéder. Je vais éclairer ma mémoire aux lumières de la Fête. Comme un récit des origines. Là où le légendaire apporte une explication magique à ce qui est inexplicable. Les ancêtres des Dogons à l’origine du tissage et de la forge, les arbres et les plantes de l’Océanie à l’origine de l’homme et de la femme, les poissons dans l’Amazone à l’origine de l’infini…et le cerf dans les forêts d’Ardenne à l’origine d’une utopie nécessaire.  

Un matin de décembre 2006, dans une rotonde désertée par les trains, des politiques se sont réunis pour dire à tour de rôle tout le bien qu’ils pensaient de la culture. Ils l’ont fait avec la sincérité des politiques, un peu comme dans une incantation.  

 Une soirée de décembre 2006, dans la froideur enfin venue d’un hiver tardif, les rues d’habitude endormies se sont peuplées de lumières étranges, d’êtres fantastiques et de musiques faites pour le plein air.  

Une journée de décembre 2006, la ville de Luxembourg s’est ouverte à une sorte de mélange. On a soudain retrouvé dans la rue, cette mixité d’accents qu’on ne rencontre d’habitude que parmi les employés des banques ou les clients du plus grand supermarché. Des Belges, des Allemands, des Français, noyés parmi les Luxembourgeois, ont joué leur rôle de visiteurs. Les tenues de réviseurs aux comptes sont restées dans les penderies et les cabas sont restés stockés dans les voitures. Tous, ils avaient envie de voir si la magie de la nuit pouvait leur apporter l’illusion d’une cavalcade commune. 

Dans le froid montant, les mains recouvertes de gants bleus à la figure de cerf, j’ai partagé leur marche, recherché leur émerveillement. Y en avait-il vraiment ? Dans les yeux des enfants, certes oui. Mais les adultes m’ont semblé un peu sérieux. Comme si’ils enregistraient un spectacle, un peu lointains. Comme si’ils le thésaurisaient. Les Italiens de souche suivaient en souriant la course des Bersaglieri (« Il soldato tedesco ha stupito il mondo, il bersagliere italiano ha stupito il soldato tedesco ») et les Luxembourgeois semblaient compter – je veux dire calculer le coût – de chaque fusée éclatant dans le ciel. Plus riche ou moins riche que celui de la Fête Nationale ?

Qu’on se rassure, je ne vais pas rester sur ces clichés. Je demanderai à ce qu’on m’en dise plus !  

Et les enfants continuaient à regarder avec émerveillement les lucioles humaines les poursuivre, comme des cauchemars enchantés. 

Je dois dire que dans ce froid un peu infini, j’ai pris beaucoup de plaisir.  

Je continuerai pendant toute une année à écrire pourquoi.

 

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