
A partir d’un certain âge, l’annonce d’une disparition vient signifier que le passage du temps n’est pas simplement une figure de style. La pandémie n’a fait en vérité qu’aggraver cette réalité.
C’est grâce à Textile / Art que j’ai appris la disparition de Jack Lenor Larsen qui est intervenue à la veille de Noël l’an passé. Il avait dépassé les quatre-vingt dix années.
Le site web créé par Nadia Prete, qui a succédé à la revue que j’ai eu le plaisir de diriger pendant de nombreuses années mentionne ainsi quelques épisodes de sa vie :

« Né en 1927, il était un designer textile américain, auteur, collectionneur et promoteur de l’artisanat traditionnel et contemporain. Au cours de sa carrière, il a été connu pour avoir associé des motifs de tissus et des textiles à l’architecture et au mobilier modernistes. Grand défenseur de l’art textile, il a été connu en France pour une exposition rétrospective de son œuvre au Musée des Arts Décoratifs à Paris en 1981. Le livre qu’il a écrit en 1974 avec Mildred Constantine, Beyond craft : the art fabric, qui analyse le travail des plus connus des artistes du Fiber Art, reste une référence pour la connaissance des créateurs textiles. Il y écrit que des artistes ont transcendé la technique de tissage et les matériaux, en se libérant des traditions: « The Art Fabric is one of the robust, vital arts of our time. Although the development of Art Fabrics is so recent and so varied that they defy classification into the accepted disciplines, it can be claimed with assurance that these are works of art. The artists who create with fiber have united creativity and intuition, principles and skill to form an aesthetic entity extended the meaning of their medium. »

Outre la lecture de ses ouvrages, depuis celui qu’il signe en 1974 avec Mildred Constantine et ceux qu’il me dédicacera ensuite et qui se trouve aujourd’hui dans la Bibliothèque du Musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine à Angers, je voulais évoquer des souvenirs personnels.
Ce livre m’atteint exactement dans les années où je commence à pratiquer l’art textile sérieusement, sinon professionnellement et où je vais découvrir à l’Atelier de Saint-Cyr à Gouvieux la réalisation concrète de la tapisserie de basse lice, grâce à Pierre Daquin et relancer des artistes et des amateurs qui sont venus, comme moi, s’initier à cette pratique, pour créer, grâce à eux, leur dévouement et à leur énergie le Groupe Tapisserie qui comptera plus de quatre cents adhérents et la revue DRIADI qui deviendra le trimestriel Textile / Art.
Le premier souvenir date de 1979 lors des « Premières Rencontres Art Textile » de Cannes où, avec Rob Puleyn, Directeur de la revue Fiberworks et Jack Lenor Larsen, deux des rares conférenciers venus de l’autre côté de l’Atlantique, à l’exception de celui qui a à la fois photographié et traduit l’événement : Aaron Paley.

Décalé du point de vue des horaires et des ambiances et parfois aidé par quelques poudres illicites que le directeur de communication qui l’accompagnait lui fournissait, il a cependant apporté un grand élan permettant non seulement de mettre en avant les grands créateurs et l’influence du Bauhaus, comme des grandes civilisations du textile, dont bien sûr les Précolombiens, mais aussi les rapports étroits et nécessaire entre les arts visuels, les traditions artisanales et la connaissance ethnographique des grandes civilisations textiles qu’il connaissait de près.
Le second concerne l’une des réunions du jury de la Biennale de Lausanne dont nous étions tous les deux, membres.
Occasion de partages, mais aussi de confrontations et de respect mutuel.
Je ne l’ai donc plus revue depuis le début des années 80, mais j’ai continué à le fréquenter grâce à ses tissus, visibles dans le show-room situé près de la Bastille, disparu aujourd’hui.
Comme une sorte de fil conducteur jamais coupé reliant ceux pour qui le textile n’est pas qu’un décor, mais un mode de vie : du lange au linceul, comme l’a écrit Patrice Hugues !