Parasite, ou un nouveau charme discret de la bourgeoisie

Voilà un film à propos duquel on peut se demander quelles sont les raisons qui suscitent un tel étonnement à chaque fois qu’il reçoit une récompense. C’était le cas lors de la cérémonie de la Palme d’Or à Cannes. Le même « cirque » médiatique s’est produit il y a quelques jours lors de la cérémonie des Oscars.

C’est la première de ces récompenses qui m’a permis de le voir au Star de Strasbourg quelques semaines avant sa sortie générale en salle.

Alors ?

Alors : j’ai apprécié le côté scandaleux, un peu trash, volontairement transgressif, qui en France le rapprocherait de l’esprit du journal Hara Kiri de la belle époque ou encore, en Italie, des provocations de Pier Paolo Pasolini ou de Marco Ferreri qui nous ont bousculés dans les années 60 et 70.

Des réminiscences de « Théorème » ou de la « Grande Bouffe » me sont très vite apparues, sans doute trop fortes pour me laisser vraiment apprécier pleinement l’œuvre de Bong Joon-ho. Mais je pense que les enjeux politiques, qui ont été, certainement avec raison, constamment mis en avant, ont laissé pour moi trop fortement de côté, les enjeux artistiques. Ainsi, je relève ce paragraphe de l’article du « Monde » du 31 janvier dernier :

« En sous-main, la vague Parasite est l’aboutissement pour la Corée du Sud de deux décennies de politique culturelle pour renforcer son industrie cinématographique. Celle-ci a été étouffée dans les années 1980 par les films hollywoodiens, qui ont profité de l’ouverture du pays après des années de restrictions et de censure pour squatter les salles obscures au détriment des productions locales. »

En fait, j’aimerais mieux qu’on me dise en quoi l’auteur apporte, à partir de la vitrine contrastée opposant riches et pauvres dans le labyrinthe d’une ville coréenne, une vision universelle des rapports sociaux, plutôt que d’insister sur son poids en devises internationales et en renommée nationale. Même si je suis conscient des enjeux politiques qui opposent son pays à son voisin du Nord et l’entraînent malgré lui à devenir un pion essentiel dans les jeux récents des alliances et des conflits médiatiques d’une guerre, heureusement encore froide, entre la Chine et les USA.

La Corée du Sud peut-elle donc être rangée parmi les « bons » et, de ce fait, peut donc rejoindre, malgré l’exotisme de sa culture pour les Occidentaux, la famille des créateurs transgressifs du cinéma que j’ai appris à nommer d’art et d’essai ?

A lire la presse, il semblerait que oui, et avec une emphase plutôt outrancière !

A nouveau dixit « Le Monde » :

« Aujourd’hui la Corée du Sud se classe cinquième en termes de recettes en salles (après les marchés américano-canadien, chinois, japonais, britannique, et juste devant le français). »

Mais revenons plutôt au cinéma et à un archétype : le huis clos.

La principale réussite de ce film est bien celle de nous enfermer avec ses personnages bêtes et méchants, en nous laissant nous en réjouir, voire même à en redemander !

Les décors sont soignés et jouent un rôle essentiel : design orientalisé d’un côté, accumulation bancale de l’autre, politesse bourgeoise ici et vulgarité assumée là. La confrontation qui commence par une petite fracture : celle d’un professeur d’anglais séduisant et poli à l’extrême, conduit peu à peu à une effraction majeure qui colonise la cuisine, la baignoire, la bibliothèque…et la cave où s’enferme un secret majeur.

Comme un pourrissement inéluctable, comme le travail implacable et secret des termites, comme une lèpre qui va déchirer la surface sociale pour accoucher la laideur d’une anatomie négligée.

Ce lent travail de sape est bien d’un ordre universel et je ne suis finalement pas surpris que les jurys professionnels qui ont présidé aux récompenses qui se déversent en poudre d’or, acceptent avec un certain snobisme le jeu que le film dénonce : la décadence de l’ordre bourgeois construit dans les hauteurs face à l’incongruité de l’inconnu venu des bas-fonds. Mais les jurys de prestige sont-ils encore dupes ? Plutôt complices d’un système qui, fort heureusement, peut permettre aux pêcheurs de perles de mettre un bijou sur le marché public.  

En cela, toutes proportions gardées, et sans peut-être en avoir réellement conscience, le cinéaste coréen rejoint le Luis Buñuel du « Charme discret de la bourgeoisie », de « L’obscur objet du désir » ou de « L’Ange exterminateur ».

Mais je ne suis pas certain que la phrase célèbre du cinéaste espagnol : « Je ne cherche pas à embellir les images. Si l’image est jolie, c’est son affaire. » s’applique au cinéaste coréen, par contre soucieux d’un parfait design scénographique.

La bourgeoisie assumée a plus d’un tour dans son sac, encore plus aujourd’hui dans le monde des jeunes politiciens libéraux épris de finance et des vieux loups de la finance épris de pouvoir politique purement médiatique et populiste.

Si « Parasite » peut sans honte dialoguer avec les plus grands cinéastes de la subversion, malgré les compromis sociaux de son auteur, il restera peut-être dans quelques années, pour les historiens du cinéma, comme le symbole même du cynisme triomphant du début du XXIème siècle.

Un cas d’école, en quelque sorte !

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