
Tirer des conclusions après une réunion dont la préparation a été longue, mais dont la tenue a été plutôt heurtée en raison des difficultés de déplacement dues aux caprices d’un volcan islandais, est cependant nécessaire.
Dans les allées d’un site de pèlerinage, où l’on venait se mettre en règle avec les dieux et prendre leur message, en accumulant les offrandes statuaires, comme on offre des cierges aujourd’hui, celui de Delphes, il y a certainement une forme de miracle qui se perpétue, même aux yeux de ceux qui ne veulent pas le voir ou ne croient pas aux miracles.
Une inspiration, autrement dit, après les officialités et le concert du magnifique ensemble En Chordais.

Une citation personnelle, un peu longue et vraiment conclusive, mais qui demandera certainement de nouvelles confrontations.
« Le tourisme classique est fondé sur l’identification chez les « clients », voire la création artificielle, d’un rêve d’évasion, de dépaysement, d’inconnu qui s’est traduit par l’époque du tourisme de plage et d’exotisme, période qui est loin d’être encore terminée. L’industrie touristique a mis au service de ce rêve une filière de plus en plus intégrée qui réunit dans le même capital les moyens de transport, les structures d’accueil, les offres gastronomiques et les visites touristiques. Si le produit peut s’adapter au plus grand nombre, alors les prix peuvent être réduits, tandis que les bénéfices restent élevés du fait de la standardisation réduisant les besoins en recherche et développement. La culture de « l’Autre » est alors réduite, le plus souvent à une vision folklorique, caricaturale, d’un exotisme de pacotille.

Le tourisme culturel est fondé lui aussi sur un rêve d’évasion et de connaissance, de dialogue avec l’inconnu, avec l’Autre. Mais il exige une diversification des moyens de transport, dans le respect du développement durable. Il implique une expression réelle du désir personnel et une satisfaction du besoin de contact personnalisé. Il repose sur l’imaginaire littéraire autant que sur le besoin de connaissance. Par essence, dans un tel cadre, aucun voyage ne peut correspondre à un autre, ou plus exactement, la même proposition doit pouvoir s’adapter à des approches individuelles et culturelles très différentes.
Dans ce cadre-là, aucune intégration du capital n’est possible. L’économie du modèle est décentralisée, elle doit permettre des retombées locales et nécessite un partage des responsabilités. Elle bénéficie de plein droit de la flexibilité apportée pour les nouvelles technologies. La notion de réseau est alors centrale pour assurer le partage des informations, de la communication, des financements, des prises de risque et une cohérence maximale.
Cependant, durant des années, le tourisme de masse et même le tourisme culturel ont considéré la culture et le patrimoine simplement comme des « moyens » au service des « produits » et ont demandé à ces moyens de s’adapter aux contraintes économiques du marché. Les business modèles du tourisme culturel étaient, au fond, peu différents de ceux du tourisme en général ; seuls les prix étaient plus élevés étant donné la recherche nécessaire et l’accompagnement de qualité et en faisait un tourisme d’élite.

On peut dire que le nouveau tourisme culturel est aussi un tourisme de « masse » puisqu’il touche des millions de personnes, mais il est éclaté en autant de démarches individuelles. Autrement dit, le succès du tourisme de pèlerinage, du tourisme de randonnée, du tourisme vert, dans lesquels les valeurs, le partage, le bénévolat, le partage des coûts ont pris une importance considérable, a bouleversé ce concept économique.
Une économie sociale, prenant en considération le capital social – au sens de la définition de l’OCDE et des travaux du Conseil de l’Europe – a fait son entrée dans le domaine touristique, nous obligeant ainsi à repenser les modèles et à revoir les grilles d’analyses d’impact et la nature des indicateurs. Les travaux de Joseph Eugene STIGLITZ, pour ne citer qu’un seul auteur, remettant l’individu au centre des phénomènes économiques, replacent donc la culture individuelle au centre du désir touristique et le partage au centre de l’économie touristique. Un Forum comme celui de Delphes nous amène certainement à repenser la gouvernance et le modèle économique des itinéraires culturels dans le contexte de la réflexion de Philippe MADEC, architecte, qui était citée en ouverture de la troisième table ronde : « La culture n’est plus le contexte de nos actions, elle est la condition même de leurs accomplissements ».
Clichés MTP : Ensemble En Chordais, Aurige de Delphes et visite du musée.