Le quartier du Faubourg Saint-Antoine et le Paris des marchés. Une étrange rencontre avec Gérard Garouste

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Il s’agit là d’un titre un peu long, mais pour ceux qui connaissent Paris, et pour les Parisiens qui ont un certain âge, le quartier du Faubourg Saint-Antoine résonne encore du bruit des artisans en train de façonner des meubles. Mes grands-parents qui avaient acquis une certaine aisance, sans excès, lorsqu’ils sont venus habiter la banlieue parisienne ont demandé à mon père d’esquisser les lignes du mobilier qui a été réalisé sur mesure et en plein bois, dans un des ateliers de ce quartier légendaire dont les habitants sortent toujours régulièrement pour constater que le Génie de la Bastille est toujours là.  

J’ai eu l’occasion de loger quelques jours au début du mois dans un hôtel situé rue Trousseau ; cela m’a permis de faire quelques incursions Passage de la Main d’Or, Passage Saint-Bernard, Passage de la Bonne Graine, où les ateliers, devenus lofts ou restaurants, bars à vin ou espaces de design, ateliers de graphistes ou bureaux d’architectes, ne sentent plus la sciure, mais le propre d’une époque post-moderne.

Il en reste pourtant une nostalgie affichée et les impasses : la Cour du Saint-Esprit, la Cour de l’Ours, la Cour des Trois Frères, ou encore la Cour de l’Etoile d’Or, donnent accès par intermittence à des îlots de calme dont le charme tient aussi à une convivialité apaisée, tandis que la Cour des Shadoks au 71 de la rue du Faubourg Saint-Antoine me fait souvenir du temps où le gentil Jacques Rouxel avait accepté d’illustrer un thème de Sciences Naturelles sur la « Respiration » rédigé pour les éditions Vuibert. 

Un peu bobo ce quartier ? Oui bien sûr, mais voilà une formidable occasion pour revenir dans les travées merveilleuses du marché Bastille et de découvrir le Marché de la Place d’Aligre finissant, un dimanche vers treize heures dans l’amoncellement des cageots, des paniers, des oranges et des pommes écrasées, quand tout un peuple qui n’est pas seulement celui des sans abris, vient ramasser des feuilles de choux, des poireaux ou des oignons éparpillés. 

J’ai pris un vrai plaisir à partager pendant trois jours la vie d’un quartier balayé de pluie du côté des grandes perspectives de l’Avenue Ledru-Rollin et de déjeuner aux « Grandes Marches » dans la mouvance de l’Opéra Bastille, ou encore de me remémorer les transformations de la rue de Lappe, entre restaurants auvergnats et Balajo. 

Mais je n’en avais pas fini avec ce quartier et son frère le Faubourg Saint-Martin, en tout cas avec la résonance mobilière, avant de lire le constat que Gérard Garouste vient de rédiger avec Judith Perrignon, comme un « Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou. »

A vrai dire on ne ressort pas intact de ce livre où l’absence de pudeur se pare des éclats de phrases magnifiques, sans que l’on sache bien entendu à qui attribuer la virtuosité, au peintre célèbre ou à l’écrivain qui a déjà consacré un ouvrage à un autre peintre « fou » et à son frère : Vincent et Théo.

Deux frères qui, paradoxalement, m’avaient amené à Paris en ces circonstances du début février et plus précisément à l’auberge Ravoux d’Auvers-sur-Oise pour un autre projet d’itinéraire culturel, sur les villes représentées par les peintres Impressionnistes. Mais j’y reviendrai bientôt. 

Pourquoi alors les quartiers de l’artisanat du bois ? Sans doute parce que la névrose du peintre vient prendre naissance dans la Seconde Guerre mondiale où une famille de fabricants de meubles, la famille Levitan, dont le nom a bercé les espaces publicitaires radiophoniques de mon enfance, a connu un sort funeste. Les magasins de cette famille juive, situés Faubourg Saint-Martin, ont été « placés dès 1940 sous l’administration d’un commissaire gérant désigné par les autorités allemandes, puis loués en 1943 à la Société Garouste Père et fils »..et ont été rendus à leurs justes propriétaires par jugement du 21 avril 1945, comme annulation d’un acte de spoliation.

Un acte fondateur, pour un homme qui rencontre une juive au cours de ses études, qui l’épouse et se fâche ainsi définitivement avec son père, ce spoliateur violent et sans scrupules, comme il le décrit, qui continue cependant de vivre en tentant de faire oublier de ses proches et en particulier de son fils, l’épisode indigne.

« Mon nom est jurisprudence. Il faut réparer » écrit-il dans une belle expression, cependant mortelle pour l’âme.  

        Et toi papa qu’est-ce que tu as fait ?

        Moi, rien » 

Un rien, comme celui qu’avoue le mauvais héros de la « Gloire de nos pères ». Et ce rien qui conduit à une sorte de suicide permanent, que l’homme accomplit en perdant son âme et son comportement normal en se déshabillant  régulièrement à la porte des églises. 

Il est vrai que Garouste est un peintre inoubliable. Je ne peux dire un très grand peintre, car il n’appartient pas tout à fait à mes amours picturales. Mais il est devenu pour moi, par le détour d’un livre, un homme inoubliable qui a su mettre devant lui, à distance de ses oublis réguliers de lui-même, un comportement qui met en relief certaines racines de l’antisémitisme.

« Je me rappelle d’un jour, il m’emmenait à l’école, j’étais en huitième, nous sommes passés devant une boulangerie à l’angle de deux rues, il me dit : tu ne verras jamais un boulanger juif, parce que c’est un métier difficile, il faut travailler toute la nuit, ils sont trop malins pour faire ça…Je suis, aujourd’hui encore, surpris de la trace laissée par ses phrases et ses mauvaises plaisanteries. Elles me restent, précises, avec ses mots à lui, parfois même avec le décor, la rue où il les a prononcées. » 

Ainsi de la mémoire qui affleure, strate par strate, dans les rues de mon Paris et où j’aimais mon père qui m’invitait à la promenade ; tolérant celui là et me désignant les traces de son propre passé, et ainsi de proche en proche, dans la déambulation urbaine explorant avec moi, enfant, la cartographie intime des êtres un peu timides qui montrent, plutôt qu’ils ne se confessent.  

Est-ce que je vais paraître pédant si je cite Cassirer : « L’espace n’est pas une structure strictement donnée, fixée une fois pour toutes ; il n’acquiert cette structure qu’au moyen de l’organisation générale du sens au sein de laquelle s’accomplit son édification. La fonction du sens est le moment premier et déterminant, la structure de l’espace, le moment secondaire et dépendant. » 

Gérard Garouste a été édité chez l’Iconoclaste en 2009

Citation E. Cassirer « Espace mythique, espace esthétique, espace théorique. Ecrits dur l’Art.

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