Mardi 23 décembre 2008 : Paris – Europe : des recettes culturelles

Je connaissais bien entendu la Maison d’Edition l’Harmattan. J’ai trop souvent arpenté la rue des Ecoles, en m’arrêtant devant la vitrine afin d’y découvrir les dernières éditions africaines, pour ne pas en garder un souvenir reconnaissant. Pourtant, l’ethnologie était un peu loin de moi jusqu’à ce que le textile m’y amène, que ce soit dans les faits historiques et les récits de la société traditionnelle sur lesquels nous avions publié plusieurs numéros spécifiques de Textile / Art , que sur les grands mythes fondateurs liés au fil, des Incas aux Dogons. L’éditeur est revenu sur notre chemin pour publier les actes d’un colloque sur la soie dans les Cévennes. Qu’il en soit remercié !  

Par deux fois ces dernières semaines, je m’y suis arrêté, cette fois pour explorer l’extraordinaire fonds de la librairie dans tous les domaines des sciences humaines. Un véritable labyrinthe digne du cimetière de livres de « L’Ombre du vent » de Carlos Ruiz Zafon. Mais aussi pour découvrir la partie consacrée aux DVD. On peut y explorer beaucoup de documents introuvables ailleurs, soit en raison du fait qu’ils sont consacrés aux documentaires et non aux longs métrages de fiction, soit par leur caractère militant, bref…une merveille. 

Comme j’avais dans la tête d’enrichir la bibliothèque de l’Institut Européen des Itinéraires culturels de livres de recherches sur la sociologie du tourisme et de m’intéresser de plus près aux pratiques alimentaires de l’Europe…pour commencer un travail sur les itinéraires culturels dans ce contexte gastronomique, alors j’ai trouvé les trésors convoités, c’était inévitable. 

Et comme Noël était là, ces livres sérieux, sont devenus aussi des livres de cuisine à mettre en pratique. Je vous recommande l’ovis apalis, les œufs pochés accompagnés d’une sauce romaine aux pignons, recette trouvée dans l’extraordinaire ouvrage de Stewart Lee Allen dont le titre français se lit :

« Jardins et cuisines du diable. Le plaisir des nourritures sacrilèges » Editions Autrement – Passions complices 2004. Et 2002 pour l’édition originale chez Ballantine Books New York.  

Et comme je n’ai pas eu beaucoup l’occasion de faire la cuisine en cette période de Fêtes dont une grande partie a été solitaire, j’en ai vraiment profité, le soir de Noël, pour expérimenter et je crois que ce plat maléfique a été apprécié.

La recette en question fait partie du chapitre « gourmandise », à côté d’autres péchés délicieux ou plus condamnables – surtout en cuisine – comme l’avarice. Les Romains l’accompagnaient d’un vin miellé bien frais, ce que nous n’avons pas fait. Un Vouvray à fait l’affaire.

Ce livre est vraiment un plaisir d’érudition, d’enchaînements historiques stimulants et évidents, une fois expliqués avec clarté, de courts circuits historiques nécessaires, et d’un grand parcours mondial, puisque la cuisine européenne cesse très vite d’être purement européenne tant les plantes voyagent, en particulier depuis l’Orient, proche, moyen ou lointain …pour ne pas parler de la grande césure de la découverte de l’Amérique.  

Ce livre est très exactement une somme d’itinéraires dont les voies d’entrées, par grands péchés, prennent pour accroches des mots, des idées, des concepts et parfois des jeux de mots :

  • luxure ; « entre pomum et malum », ou le meilleur moyen de savoir si le fruit d’Eve, celui de tous nos malheurs, est une pomme ou une figue,
  • entre un monde celtique où les moines irlandais ne connaissent pas le raisin et le monde des prêtres catholiques romains, détestant la pomme issue du cercle des druides.
  • « Un ketchup sans tomates », entre ancien et nouveau monde, « saintes et top modèles », on devinera le rôle de la diète, du jeûne et de l’anorexie, des couvents jusqu’aux podiums…
  • et bien encore « sexualité et pâtisserie », où on retrouvera les Minni di Virgini (Vergine ?) ou seins (saints) de la Vierge, dont la Sicile m’a fait découvrir les délices.
  • « Chocolat et libido », plusieurs de mes amis se reconnaîtront dans ce paragraphe-là !… 

J’aurais aimé suivre le fil complet d’une démonstration voyageuse pour donner une idée du labyrinthe intellectuel de l’auteur, mais ce serait trop long.  

Alors juste un petit extrait qui recoupera également mon intérêt pour les jardins. Et que mes amis musulmans n’y voient aucune malignité. Il n’y en a pas. Nous sommes rendus dans le chapitre gourmandise et dans le paradis de l’Islam… 

« D’après les premiers exégètes musulmans, d’énormes poulets rôtis, aussi gros que des chamelons, tombaient directement aux pieds des bienheureux. Le foie de poisson et le ragoût de chameau remportaient apparemment un franc succès. Les théologiens décrétèrent par la suite que chaque palais céleste « comptait dans chacun de ses appartements soixante-dix tables, couvertes chacune de soixante-dix mets différents ».

Soit au total quatre mille neuf cents plats par repas, desserts inclus. Ces calculs furent publiés au Moyen Âge par le commentateur al-Haythami, qui négligea cependant de décrire le contenu exact des menus. Il nous faut pour cela nous reporter aux célèbres « jardins de paradis » conçus dans le but de recréer le « jardin des délices », séjour éternel des bons musulmans. 

Le Coran représente le paradis sous l’aspect d’un enclos rempli d’arbres et de fontaines (le nom vient précisément d’un ancien mot perse qui signifie « enclos »).

Ces créations méticuleuses ne s’arrêtaient pas à l’aménagement paysager. « En vérité, le jour venu, les compagnons en ce jardin s’emploieront joyeusement », proclame le Coran.

« Au hasard des interprétations, ce verset en apparence si anodin en arriva à signifier que les fidèles « s’emploieraient joyeusement » à déflorer des jeunes filles vierges. Restait à savoir combien. Ce cher al-Haythami se chargea une fois encore d’en déterminer le nombre : Les palais du paradis sont bâtis en nacre ; ils contiennent chacun soixante-dix châteaux de rubis ; chacun de ces châteaux contient soixante-dix appartements d’émeraude, chacun de ces appartements contient soixante-dix chambres, qui contiennent chacune soixante-dix tapis ; sur chacun des tapis repose une femme. 

On aboutit ainsi à un total d’environ vingt-trois millions de nymphettes lubriques pour chaque homme. Les califes les plus fervents s’entouraient d’un formidable harem, afin de bien préparer cette future épreuve. Certains allaient jusqu’à installer dans leurs jardins d’immenses structures qui portaient le nom de « galerie des glaces », gigantesques chambres en forme de dômes exclusivement dédiés à l’œuvre d’Allah. » 

J’arrête ici. Le reste concerne de nouveau la préparation sur terre aux futurs banquets célestes. 

Au fond, je crois que Daniele Grammatico, quand il fait visiter l’Alhambra, en soulignant la continuité des motifs et des écritures, depuis les murs où ils sont restés intacts, jusqu’aux tapis, qui ont disparu – et des tapis aux jardins, qu’on a reconstitué et interprété, n’ose pas parler des luxures de ces petits Califes de Grenade, petits potentats de province au raffinement absolu, comme il dit, qui devaient eux aussi, se préparer au paradis.  

Un chapitre manque à sa visite, que je vais lui suggérer.

Photo : Jardins du Generalife, Alhambra de Grenade.  

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