Mercredi 23 au dimanche 27 avril 2008, au temps des Califes IV / une matinée dans l’Albaicin

Parc des Sciences, Grenade. Cliché MTP.

Il vaut mieux parfois quitter les lieux sur la pointe des pieds. Trop de réalités tuent la réalité. Je veux dire : trop de réalités accumulées à propos d’une situation, d’un contexte, d’un mode de vie tentent d’aspirer, de retenir, de ligoter alors qu’il n’est pas encore temps de se fixer.  

Je parle en effet depuis quelques jours d’une culture locale qui n’est pas soluble dans une plus grande quantité culturelle totalisante et dont on se dit justement qu’on aimerait s’y fondre. Paradoxe difficile à supporter.

S’installer là et chaque dimanche matin, aller prendre un petit déjeuner de jus d’orange et de churos, au milieu des Grenadins lisant leur journal, avant de serpenter sur la colline de l’Albaicin.  

Grenade. Cliché MTP.

Comme Daniele Grammatico, Manuel Peregrina connaît chaque pierre. Il a fait ses études à flanc de montée, même s’il n’y vit plus aujourd’hui contrairement à Danielle qui y a installé sa famille. Il me montre chaque tour, minaret recoiffé d’un clocher et le parcours de l’eau que ponctuent les nombreux puits. Il semble également connaître comme un lézard les pierres chaudes et les zones d’ombres. Les policiers comme les guides sont ses amis et chaque « carmen » s’ouvre gentiment à notre passage, dans l’odeur mouillée d’un jardin que la nuit a protégé et exhalé, tandis que passe, un peu courbé, comme un des derniers témoins de la guerre civile, l’un des meilleurs amis de Garcia Lorca. 

Cliché MTP.

Et depuis le mirador de San Cristobal où vivent, en ce mois d’avril finissant autant de touristes que de marginaux dont les chiens se roulent au soleil, la lumière est là pour raconter l’histoire, une histoire assez semblable à celle que contait Washington Irving, une histoire d’horizon. 

« There was a considerable suburb lying below the Alhambra, filling the narrow gorge of the valley, and extending up the opposite hill of the Albaycin. Many of the houses were built in the Moorish style, round patios, of courts, cooled by fountains and open to the sky; and as the inhabitants passed much of their time in these courts, and on the terraced roofs during the summer season, it follows that many a glance at their domestic life might be obtained by an aerial spectator like myself, who could look down on them from the clouds.” 

Les faubourgs de Grenade sont devenus industriels ou industrieux et s’étendent, au-delà du Parc des Sciences, le musée le plus fréquenté d’Andalousie, où nous préparerons peut-être une grande exposition sur les itinéraires culturels l’année prochaine, vers la limite des champs, en autant de cités qui ressemblent à celles dont Paris s’est ceinturé dans les années soixante. 

Cliché MTP.

La ville, comme le reste de l’Espagne, mais avec peut-être plus d’intensité, parce que plus ramassée, a connu un essor économique sans précédent que les pavillons du Parc symbolisent, en adoptant les technologies que l’on trouve au Québec ou sur la côte californienne. Dernières lueurs devant la crise économique profonde qui s’annonce et une crise immobilière qui se lit dans les annonces.

Mais la ville est restée ceinturée de murs : ceux qui délimitent l’Alhambra ou ceux qui escaladent les collines le long de l’Albaicin. 

Lors de ma première visite en 1991 pour les Routes de la Soie, le délégué du Ministère de la culture turc, n’arrêtait pas de dire combien il se sentait chez lui. L’esprit d’un Calife naissait en lui.

D’un bout à l’autre du grand arc méditerranéen construit par les Arabes, et dans l’horizon des conquêtes que les Turcs et les Ottomans n’ont plus jamais égalées, il savait situer son imaginaire. Nous ne l’avons plus revu en raison des bouleversements successifs, de l’extrême gauche à l’extrême droite jusqu’à la crise récente d’une laïcité centenaire qu’a connu son pays…

 Se sentir bien au pied d’une ancienne mosquée, près d’une nouvelle école coranique, constitue la marque d’un sentiment d’appartenance.

Certes ! Mais à Grenade, cette appartenance, tous les Européens peuvent aujourd’hui la ressentir sans craintes, comme le diplomate et journaliste américain de New York le ressentait lui-même, avec un frisson d’exotisme, en 1829. Tours de Manhattan ou pas, face à un Islam dévoyé, il s’agit ici de paix, pas de guerre des civilisations, dont nous voudrions parler.

Il suffit de s’asseoir, de prendre son temps, au lever comme au coucher du soleil. Et ne plus songer que l’avion est prévu en début d’après-midi.  

Trop de bonheur est certes un peu trop que le bonheur. 

Comme le dit également Irving :

« But such is the nature of Spain, wild and stern the moment it escapes from cultivation ; the desert and the garden are ever side by side. »

Parc des Sciences, Grenade. Cliché MTP.

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