
Gubbio de Don Matteo / Gubbio de mars, du bas de la ville à la loggia et Risotto de Vercelli
Un paysage ne vaut que par son utilité. Un paysage humain nous apprend les saisons. Lorsque je suis venu à Vercelli au mois d’octobre, j’ai été surpris par l’allure des champs. Il faisait beau, on aurait pu confondre et se croire au début des moissons d’été. Partout les batteuses s’activaient dans une atmosphère sèche et poussiéreuse. Et lorsque j’ai pu regarder la télévision, j’ai découvert ce que j’étais le seul à ignorer : le riz se récolte dans le mitan de l’automne. Et pourtant il n’y a pas de mot particulier pour placer devant cette récolte : s’agit-il de la vendange, de la moisson, de la cueillette…et il faut que le temps soit venu. Apparemment, le temps était venu ! J’ai dû comprendre que je connaissais mal le cycle du riz.
Mais peut-être que j’ai compris pourquoi le risotto, ici, dans le nord de l’Italie, au Piémont, est un riz plus fort et plus rude, issu de l’eau qui court et ressurgit, revenue des Alpes et du Mont-Rose qui marque l’horizon et commande une barre, un obstacle qui semble infranchissable.

Le risotto de Vercelli est une rencontre entre les Graminées et les Légumineuses, entre la graine et le haricot et, à ce moment particulier de l’année où l’on récolte le riz, les bolets frais se laissent découper en copeaux à côté des viandes, pour mieux accorder la terre forestière à celle de la plaine, des pâtures et à celle des jardins.
Le riz épouse toujours les plantes et les animaux de son environnement. C’est ainsi qu’il est terrestre ou maritime. Maritime et lagunaire, de la paëlla valencienne à la rencontre des fruits de mer, des calamars et des thons ramenés vers la Sérénissime et ses canaux, dans le risotto au noir de seiche. L’Italie joue d’un canal à l’autre et le Grand Canal de Venise, fait écho à celui de Milan qui traverse les espaces agricoles et longe les villas de la campagne lombarde jusqu’à rejoindre les résurgences du côté de Vigevano.
Je reviens à Vercelli au printemps, devant des champs aplatis ou ratissés, comme si je devais redécouvrir la phase initiale ; celle où tout se prépare. L’eau commence à monter, ici et là. Quelques tracteurs parcourent la boue. L’habit de la mariée est prêt et il n’est pas loin le temps où l’horizon s’élèvera dans une sorte de mirage, au-dessus des multiples rectangles, comme autant de piscines qui représenteront autant de berceaux du végétal.
Entre Piémont et Lombardie, l’Italie joue à paraître une terre exotique et elle y réussit. Entre Piémont et Lombardie Maria Rita Ballossino, ses fils et son mari me parlent de leur terre et m’y invitent. Ils ont une grande ferme où ils sélectionnent un riz de première qualité, raffiné, parfumé, un peu rustique, juste ce qu’il faut et élèvent des volailles. On parle de politique. Les élections sont proches et même si Berlusconi a toute chance de gagner, et selon eux, mérite de gagner pour restaurer la fierté des Italiens, les rues débordent d’affiches et la gauche tente de maintenir une unité qui a trop fait défaut à Romano Prodi. Mais les rancœurs sont encore grandes devant les chances gâchées, les peurs de l’immigration trop fortes pour que la bascule serve Walter Veltoni, dans l’immédiat du moins.
En fait je suis arrivé à Vercelli le 25 mars pour y assurer deux conférences, puis j’ai rejoint Gubbio, avant de revenir pour finir une discussion sur la possibilité de faire de Vercelli une ville de croisements d’itinéraires : saint Jacques, saint Martin et la Via Francigena s’y rencontrent et l’Université pourrait fort bien y accueillir un centre d’interprétation.

Mais je ne peux aller aussi vite en laissant de côté ma découverte de l’Ombrie et des Marques. De fait je connaissais Gubbio, comme tous ceux qui ont eu l’occasion d’apercevoir sur la RAI ce feuilleton intitulé « Don Matteo » où Terence Hill interprète ce prêtre de campagne qui dénoue les cœurs, apaise les âmes et résout les énigmes policières mieux que les carabiniers.
Le décor de ce feuilleton est celui des collines et des vallées qui surmontent la ville, de ce piton où les ruelles qui l’encerclent, comme des courbes de niveau, ont un air de Moyen Âge surmonté de Renaissance et où les toits de tuile ronde s’enrobent de brume. On est en effet en montagne, dans une communauté de montagne même, au sens administratif italien du terme, celle de l’Alto Chiascio et les nuages viennent s’étendre en rubans pour faire l’amour à la vallée.

Monumentale, impressionnante avec un Palais des Consuls, à la fois massif dans sa manière de se caler, de s’épauler sur les maisons sous-jacentes, et élégant dans ses tours crénelées qui semblent attendre une fête. Et cette fête de mai, la fête des cierges, nous en reparlerons !
J’ai beaucoup aimé ces pentes abruptes entre les maisons de pierres, les escaliers qui ramènent à la place du marché, ces surplombs qui laissent les bruits courir d’une place à l’autres et cette céramique antique qui parsème les vitrines.
Un autre monde, dans le monde. Dans lequel se lit l’histoire de Rome, l’histoire des peuples qui ont écrit à la naissance de l’écriture, dans ce refuge montagnard et le terreau des festivités païennes que l’église a lentement canalisé, dans un mélange de couleurs et des grandes confrontations de corps tendus vers la défense d’un drapeau.

Vos très belles images me confortent dans l’idée que l’Europe , ce n’est pas seulement des règles , des institutions , c’est aussi , des paysages , des villes , des régions , des hommes et des femmes , leurs sourires , leurs regards ,
je suis de ceux qui pensent qu’il faut donner un visage à une Europe qui demeure lointaine .
merci pour vos belles réalisations .
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