Vendredi 11 janvier, Luxembourg : il ne faut plus se préparer

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J’ai beau interroger Google rétrospectivement, il semble bien qu’à part l’adoption de différents projets de loi en France, la tenue d’un conseil du gouvernement au Luxembourg, et encore la publication d’autres décrets d’application dans l’Europe entière, cette journée ne marquera pas les mémoires, même s’il s’agit du chiffre fatidique qui a imprégné nos consciences depuis plus de six ans. 

Et pourtant je pourrais dire que je poursuis avec un certain contentement ces journées de lecture et de cinéma, cette fois devant le paysage luxembourgeois, comme si elles allaient s’ajouter les unes aux autres encore quelques semaines.  

Une échappée en chambre qui redouble la solitude, puisque c’est à mon ordinateur que je dois les images. Mais il me faut bien choisir entre le Luxembourg et Strasbourg. Puisque la ville où je suis revenu ne compte plus qu’un cinéma, et encore ouvre-t-il ses portes le week-end pour une séance du soir, consacrée en majorité au cinéma américain, j’en suis en effet revenu aux DVD.  

Ne vivant pas en France, je n’ai pas accès aux films dont Le Monde accompagne ses éditions de fin de semaine. Je me rabats par conséquent sur la série éditée par le Süddeutsche Zeitung, qui a su accumuler une série où les femmes sont fatales.  Que ce soit la Brigitte Bardot de Vadim, créature démoniaque dont la nudité est la seule excuse, Isabelle Huppert en industrielle du chocolat suisse, empoisonneuse de talents pianistiques dans le film de Claude Chabrol : « Merci pour le chocolat », ou encore une Isabelle Deneuve perverse jusqu’au bout de la route, entraînant un Jean-Paul Belmondo consentant vers la mort, dans « La sirène du Mississipi » de François Truffaut, la douce et ardente Stéphane Audran de « La femme infidèle » de Claude Chabrol à nouveau, sans oublier les couples croisés où Catherine Deneuve partage avec Daniel Auteuil l’amour de Laurence Côte dans « Les voleurs » d’André Techiné. 

Films au nom des femmes, et non films de femmes, qui, ajoutés les uns aux autres forment les éléments d’un exercice de sociologie comparée sur cinquante ans.  Chacun a vu ou verra, en cinémathèque ou à la télévision, ces bornes sur le chemin. 

Mais au milieu de ces démonstrations d’acteurs, j’ai trouvé une sorte de perle rare. Un premier film ; enfin un premier long métrage, celui de Julie Gavras. Son film précédent était plutôt un exercice en collaboration avec une classe de CM1 : « Le Corsaire, le Magicien, le Voleur et les Enfants ». On dirait d’ailleurs  – ans doute à bon escient – le titre d’un film de Peter Greenaway…Mais il ne s’agit que du regard des enfants de Décines dans la banlieue Est de Lyon qui traduisent leur découverte du « Corsaire rouge », du « Voleur de bicyclette » ou encore du « Magicien d’Oz ». 

Bien entendu le nom de la cinéaste est célèbre…Fille de…cela va sans dire, alors oublions. 

Le titre de la petite merveille : « La faute à Fidel ». Une sorte de nostalgie rétrospective bien en phase avec la fin d’un règne cubain – le film date de 2006 – mais tout aussi en phase avec mon adolescence, lorsque le planning familial se met en place, comme un scandale et qu’un pan de nos illusions tombe avec la mort d’Allende.

Nos années 68 font un sacré retour, dans un monde prêt à célébrer ce prurit des baby boomers, pourvu qu’on n’y revienne plus, avant que cette sacrée génération ait disparu. Nous aurons alors droit à un mémorial !

Tiens au fond, c’est vrai je ne me sens plus tellement différent de mon second grand-père, celui qui avait échappé au massacre de la Grande Guerre, prêt à raconter toute cette année ma guerre au Quartier Latin, comme il m’a raconté la sienne en se rasant le matin dans sa cuisine, mieux chauffée que sa salle de bains, ou de mon père qui passait dix bonnes minutes par jour à parler de la briqueterie de la Ruhr où il a vécu enfermé plusieurs années.  

Quarante années ont passé depuis les pavés déterrés.  

Bref ! Allez voir ce film ou achetez le DVD, c’est un moment de la France, ou plutôt de la banlieue parisienne, quand l’engagement des parents révolte les enfants avant de les amener à prendre conscience des soubresauts du monde. Entre franquisme moribond et tiers-mondisme vacillant.  Une bourgeoisie prend partie, pour la Révolution sud-américaine ou pour celle de la liberté de procréation. Et d’un sujet grave et rétrospectif, nait une certaine poésie de l’instant.

Et puis les deux enfants acteurs (l’aînée, une fillette de neuf ans, Nina Kervel-Bey, avec une bouille pas possible, un don du regard et de la voix) nous conduisent doucement sur le fil de l’Histoire. 

En 1970 et 1971, la fin du Général pave le chemin vers l’arrivée de la Gauche, dix années plus tard. 

En 1970 et 1971, le chef du Parti Communiste roumain affute son plan pour devenir Président – Conducator pour plus de quinze années, tandis que Fidel évoluera parallèlement – en miroir ? – vers l’enfermement de ses concitoyens. 

Pourtant Fidel nous regarde encore d’un œil narquois en disant : « il faut bien un dernier ». Dernier vraiment ? 

« Lorsque naquit la République populaire roumaine, dehors c’était l’hiver et il gelait à pierre fendre. Les ennemis masqués guettaient aux fenêtres. Les grands propriétaires affûtaient leurs dents en or et fuyaient à travers champs. Les vastes domaines rétrécissaient encore une fois. La bourgeoisie délirait. Les patrons s’enfermaient dans leurs coffres-forts et disaient des prières en se rongeant les ongles… 

On se heurtait encore à pas mal de difficultés. Le café avait une odeur de souffre. La farine un goût de poussière. Le caissier s’était enfui avec la caisse. Le pays manquait d’argent, de tracteurs et de champs, de montagnes et de puits de pétrole. Sur une affiche déchirée par le vent, un homme tenait dans son poing le marteau. Une femme appuyait sur son sein la faucille. D’une roue dentée montait une gerbe de blé. Le marteau était lourd. Les épis frémissaient de joie. Sur l’enclume on battait le fer chaud. Ils travaillaient avec ferveur. Elles tenaient leurs enfants contre leur sein et forgeaient leur vie. Ils cueillaient les fruits. Elles trempaient l’acier. Le soir tombait doucement. La République naissait dans la douleur. Sur la Dîmboviţa flottaient des tracts. L’Olt remontait à sa source, le font haut. »  ( Gheorghe Crăciun « Pupa russa » (la poupée russe) 2004).  

Je crois que je suis prêt.      

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