Samedi 15 décembre 2007 : Luxembourg, sur un air de Fado

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Musée Pei

Paula Rego Possession

Rui Moreira Untitled

Miguel Palma Autofocus

 Curieux ou pas, je n’avais pas encore eu l’occasion de me rendre au musée d’art moderne de Luxembourg. Un bâtiment dont j’ai pourtant pu suivre toutes tes étapes et surtout tenter de comprendre les conflits. Demander à Pei de créer en plein milieu de la forteresse de Vauban un musée qui accueille une collection d’art contemporain quasiment inexistante, constituait certes une gageure. Du moins pour tous les pays qui n’ont pas les moyens de leurs ambitions, que ces ambitions soient justifiées ou non. 

Quoi qu’il en soit, il y a eu deux phases dans le travail de conception des collections. La phase préalable a été confiée à un remarquable conservateur et historien de l’art : Bernard Ceysson. Cet homme qui est resté fidèle à la ville de Saint Etienne, malgré un court passage à Beaubourg qui lui est très vite apparu d’une lourdeur anachronique, est maintenant un retraité actif qui a ouvert une galerie personnelle. Il a apporté à la fondation du musée de Luxembourg une base sur les années cinquante et sur l’Ecole de Paris, ce qui n’a certainement pas du être facile, pour se concentrer ensuite sur les années quatre-vingt. 

La phase ultime, qui a donné sa marque de fabrique au musée, vient d’une autre personnalité marquante, celle de Marie-Claude Beaud dont j’avais suivi au cours des années de Textile/Art la carrière passionnante, de Grenoble à Toulon, puis à la Fondation Cartier et à l’American Center, avant un court passage au Musée des Arts Décoratifs de Paris où elle aurait pu refonder l’esprit provocateur de François Mathey que nous admirons je crois également tous les deux, si les esprits convenus ne l’avaient pas fait fuir. 

Mais à partir du début de ce siècle, elle a rejoint le Luxembourg pour un ultime défi qui n’a certainement pas été le plus facile tant elle a aimé bouleverser les consciences, toujours soutenue cependant par la Ministre Erna Hennicot-Schoepges, malgré les critiques a priori. Sa doctrine de collectionneur se résume en quelques phrases :

« Je crois que parmi les solutions, en dehors des techniques propres à l’histoire de l’art, les langages contemporains parallèles comme le design, la danse, la musique, le cinéma, le théâtre, la littérature, la mode…sont capables – parce que nous y sommes plus familiers – de nous donner des clés pour comprendre ce langage de l’art. L’œuvre originale n’est pas dans les mains de toute le monde, malheureusement, comme peut l’être l’œuvre musicale sous la forme d’un CD. L’internet peut certes changer beaucoup de choses. Ainsi, nous allons commander des œuvres conçues spécialement pour notre site web, et que les gens pourront avoir chez eux, sur leur ordinateur. C’est aussi un de nos désirs. » 

Voilà une déclaration au Land qui ne serait peut être plus prononcée aujourd’hui dans les mêmes termes, quand le musée n’est plus virtuel et quand l’attention de Marie Claude Beaud peut se concentrer sur des cimaises, des vitrines et un espace bien réels.  

Il y a eu également de multiples confits avec l’architecte Pei, depuis le moment où il a inscrit au sol la trace de son futur musée, au mépris des fortifications vénérables posées par Vauban et les Autrichiens, jusqu’au moment où il a du s’apercevoir qu’on ne lui avait pas fourni les pierres de Bourgogne qu’il avait exigées, dans la continuité des surfaces crémeuses des fondements de la pyramide du Musée du Louvre. 

Et puis en juillet 2006 le musée a enfin ouvert ses portes, dans la blancheur crémeuse en effet de son écrin, mais au milieu d’un chantier, puisque le musée de la forteresse reste pour l’instant en l’état. Le contraste reste toutefois suffisamment singulier pour mériter un grand intérêt d’étrangeté.  

Mais après les éclats de l’exposition d’inauguration et un hommage à Majerus, trop tôt disparu dans le brouillard d’un accident d’avion à quelques centaines de mètres de l’aéroport de Luxembourg, il s’agissait en ce mois de décembre de célébrer l’identité.  Et tout particulièrement l’une des identités fortes du Grand-Duché, l’identité portugaise.

« A propos des lieux d’origine », titre emprunté à une œuvre de Pedro Cabrita Reis, pose un regard sur la scène artistique portugaise, toutes générations confondues. » dit le catalogue. Ceci dit l’œuvre de Reis faite de tubes néon posés sur des briques, ne fait que reprendre le lien entre deux mondes, celui de ses frères maçons, des chantiers du Luxembourg et d’ailleurs et celui des minimalistes américains. Pied de nez aux arts technologiques ?  Certes ! Il y a bien au Luxembourg une émigration qui s’est superposé aux petites Italies. On voit naître des drapeaux portugais aux fenêtres les soirs de coupe d’Europe ou de coupe du monde et on entend au supermarché une langue qui possède presque autant de présence que le français ou l’allemand, l’emphase et la démonstration en plus.

Mais les seules manifestations exotiques se retrouvent d’habitude dans les clubs portugais, où s’accumulent les coupes sportives, dans les concerts de villages qui dépassent le temps de sommeil des Luxembourgeois, ou dans les défilés de l’Epiphanie venus de Porto ou de Braga. Le ballet des taxis portugais constitue l’écume d’une immigration qui ne se veut qu’une couche au plus vite assimilée, pour laquelle le pays recrute ses institutrices sur la connaissance de la lusophonie. 

Alors ?  Les arts dans tout cela ?

Des individualités mises côte à côte, en partant de disciplines et d’approches diverses ne font pas une identité, mais une collection. Et le choix est heureux en individualités de talent qui reflètent certes une effervescence, mais surtout pas une école. 

Faut-il parler de Paula Rego, la plus célèbre sans doute ? Qui parle à son sujet des sources du côté de Freud ou de Charcot ? Il s’agit en effet d’une femme tourmentée. Mais est-elle réellement plus hystérique que les corps de saints torturés ou du Christ de Mantegna ?  Entre rigidité cadavérique et lit défait, c’est aussi d’une éternité corporelle et du sujet éternel de la peinture dont il est question. Une grande peinture, en effet. 

Les tableaux monochromes de Rui Moreira semblent atteindre par contre une mythologie autant peinte que cinématographique, celle d’un orient imaginé. Un regret colonial, un passé aventureux dénoncé ? A l’autre extrême, Miguel Palma bricole des mondes dont l’aventure est une dérision de la technologie. Objets célibataires, objets du monde globalisé, réintroduisant la source de la négation identitaire dans le quotidien du bricoleur. Du garage de la Silicon Valley à l’arrière boutique du café portugais. Tandis que Joao Pedro Vale réaffirme ses rêves d’enfance, quand les haricots géants emmènent les enfants aventureux vers des mondes inconnus. 

Dans un monde de fado, c’est certainement Joana Vasconcelos qui fait tourner nos têtes au rythme réel de son pays.

Dans un éternel manège, un motif cachemire spatial, énorme, fait de dentelle rouge, comme on en voit sur les murs des chaumières où l’éternel féminin brode, coud, tresse et prépare le repas, dans la musique de la nostalgie, danse une sorte de valse. 

Fado identitaire ?

Dernier rempart pour des artistes en voie de dissolution mondiale ! 

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