
Un court arrêt à Paris me donne l’occasion d’acheter quelques livres pour contrebalancer la période très desséchante d’écriture administrative qui m’attend et la série très fatigante de réunions à venir jusque là fin de l’année.
Même s’il s’agit de célébrer un anniversaire où je retrouve, en termes de résultats, beaucoup de ce que j’ai donné, il faudra prendre et puiser de l’énergie dont les dernières composantes sont devenues très clairsemées.
Alors, je vais continuer à me donner le temps de voler des pages qui sont autant de petits bonheurs inscrits entre deux points.
J’avais entendu un peu par hasard le nom de Jean-Loup Trassard. De fait, j’avais plutôt entendu sa voix au détour d’une conversation littéraire. J’ai emporté « L’amitié des abeilles » avec moi. Et dès les premiers mots, une pluie bienveillante est tombée. Un éloge au jardin. Un détour par l’amitié des plantes et la connivence des odeurs.
« Dans les massifs triangulaires, bien des rosiers ont quitté leur place pendant mes années d’absence. Sur les allées, l’herbe dense est un tapis humide, avec des plants de pavots et de soucis. Il y a du séneçon partout. C’est le silence et la fidélité de mon jardin. S’il s’était donné à d’autres, il ne serait pas tellement envahi par les herbes. Chacune a son individualité, son parfum que je connais encore, qui doit être âcre et chaud l’après-midi. Il y a même quelques fleurs des foins venues des prés en juin pour se rendre compte par elles-mêmes, je suppose, et restées là, entre les murs et les marches du perron qui descendent jusqu’à elles. »
Une leçon de sensualité quotidienne. J’étais déjà séduit ! Mais en revenant, je suis allé chercher cet autre chef-d’œuvre que constitue « Conversation avec le taupier ».
Un peu comme la conversation avec le jardinier dont Henri Cuéco avait écrit et dessiné les stances. Mais il s’agit de perles du langage et d’un mode de parcours à l’écoute de la terre, quand ce qui se déplace n’est rien d’autre qu’une petite masse invisible, dans un entrelacs de couloirs d’aveugles.
Ruses de part et d’autre. Petit marché avec la mort. Petites tromperies d’un sol trop meuble ou trop argileux.
Rien que des petits riens.
Dans la boue et la pauvreté égoïste des fermes, entre les marécages et les prés enrobés de rosée… Une vie dont le déplacement ne peut reprocher à quiconque ni la maladie, ni le froid, ni la pluie, ni même la mort.
Une vie comme une plante ou comme une taupe ; aveugle et inéluctable.
Une vie quoi…et l’éloge d’un temps mesurable.
