Samedi 18 août 2007, retour de Fréjus

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Cette petite chronique du jour aurait pu se nomme également : peindre au bord de l’eau.  

Après un retour mouvementé, très tard dans la nuit en tentant de contourner une autoroute coupée par les flammes, dans la banlieue de Marseille – je me doutais bien et je le craignais que nous allions connaître ce genre de peur panique – je me suis réveillé ce matin avec un sentiment de plénitude. 

J’étais déjà passé à quelques encablures de la maison de Jeanne et Pierre Daquin plusieurs fois ces dernières années. Soit dans un aller et retour italien où une étape supplémentaire aurait été mal venue, soit dans l’hésitation d’imposer à ma compagne ce qui aurait pu paraître comme une sorte d’épreuve initiatique. 

Avec ma fille, je me sentais plus à l’aise pour des retrouvailles et un plongeon dans le passé. Marie a fréquenté l’école Saint-Méri  les mêmes années que Ronan le fils de Jeanne et Pierre ; L’un et l’autre passant leur jeunesse dans le quartier Beaubourg. Une école à plateau ouvert, à la pédagogie dynamique, située au-dessus d’un gymnase. Une école aux fenêtres ouvertes sur Beaubourg et sur les rues du Marais naissant, à la limite d’un Sentier envahissant.  

J’ai le souvenir d’une rencontre avec ces petites âmes curieuses autour de vers à soie que j’avais rapportés des Cévennes la veille. C’était en 1994 peut-être. J’avais essayé de parler des ruses d’une princesse japonaise, des astuces de moines byzantins, et partagé de douces étoffes, mais si l’émerveillement avait été grand et les questions nombreuses, j’étais plus impressionné que de rencontrer un groupe de chefs d’Etat. Et un merveilleux gamin m’avait posé d’emblée la question de confiance : « Est-ce que tu es déjà allé en Chine ? » . Ma réponse négative a détruit le peu de confiance que ce petit Chinois vivant dans quelques mètres carrés avec sa mère aurait pu avoir en moi.   

Il y avait donc des familiarités relativement récentes qui pouvaient éviter des timidités naturelles.  L’implantation dans ce midi de rêve est également récente ; à peine une dizaine d’années et je crois que je n’avais plus revu Pierre depuis sa nomination à l’Ecole des Beaux-Arts d’Angers et son départ des Arts Décos de Strasbourg. 

Il faut croire au paradis que j’évoquais hier.  Il existe et on  y rêve bien en couleurs. Tout était préparé pour un long séjour, des repas sur la terrasse, de longs moments près de la piscine, le jeu de boules et les ballades près de la mer. Nous avons cependant du concentrer en à peine une journée notre désir commun de combler les trous du temps entre de longues interruptions, sans éviter les flashs back, le rappel de noms familiers de l’association et du journal sur l’art textile et de décerner un hommage constant et implicite à ceux qui nous ont rapprochés, comme Denise Majorel. 

Je n’avais pas vraiment compris que nous pouvions nous poser là dans le bonheur, au-delà de quelques heures. Je sais que je reviendrai vite.  Il n’y avait pourtant aucune nostalgie. Juste du présent débordant d’affect, mais pleinement ancré dans la lumière du jour.  Pierre a commencé la reprise de contact par la visite de son jardin. Je retrouve sur sa table un livre de Gilles Clément. Il m’avoue son admiration pour le paysagiste et avoir rapporté année après année quelques trésors du Rayol et un grand plein d’imaginaire botanique. Il admire aussi le domaine de Marnier Lapostole. Jardin secret d’un amateur qui pouvait, il y a encore trente ans, rivaliser avec les plus grandes collections des muséums de la planète et envoyer ses jardiniers chercher des plantes exotiques dans les forêts tropicales. Je pensais que ce jardin que j’avais visité avec la Société Botanique de France à la fin des années soixante-dix n’avait pas survécu à la disparition de l’ancêtre du Grand-Marnier. Chauffer pendant l’hiver des forêts de bambous dans un climat si doux, était plus qu’un luxe ! Pierre m’assure que des visites privées sont encore organisées. Allons, il y a encore des sources pour la conservation des plantes et un hommage rendu aux fous ! 

Chaque parcelle du terrain qui encercle la maison commence à dire une histoire de floraison, de rocher arraché au sol, de greffe, d’irrigation, de transplantation. Le botaniste est époustouflé par l’artiste devenu jardinier. Je regrette de n’avoir qu’un jardin à l’abandon à Evian et où les graines et les boutures de ces méditerranéennes ne prendraient pas. Je regrette aussi la disparition progressive de mes connaissance botaniques, reléguées à l’arrière plan. 

Les végétaux nous regardent en faisant le gros dos. Nous sommes au plus sec de l’été, dans l’attente des orages d’automne, dans la menace des feux. « Si j’arrose un peu, tout reprend aussitôt » me dit Pierre. Il n’a pas fallu beaucoup d’eau pour que la familiarité d’une longue amitié reprenne. Pourquoi tant de temps filé ? « Je suis devenu un professionnel. Je suis devenu peintre. » Il le dit ou le suggère avec un reste de pudeur.

Le pédagogue n’a plus que de rares occasions d’enseigner, sinon à des amis de passage. Il est devenu en effet un artiste à plein temps, là où il avait toujours rêvé d’habiter ; au soleil, sous un ciel profond, entouré de pins qui couronnent des propriétés voisines. Et il aperçoit la mer ; juste assez pour qu’elle rentre dans sa peinture. 

Quand cette plénitude reste encore là, quelques jours après, quand j’écris, j’ai le sentiment que je leur dois à tous deux un grand remerciement.  J’avais parlé il y a quelques semaines d’un remerciement encore plus grand. Quand il faut avouer que trois ou quatre personnes, deux ou trois lectures, quelques paysages et un grand sac de musique orientent et créent un destin.  Il n’y a pas de concurrence avec l’amour que l’on éprouve pour une compagne et pour ses enfants. Juste des moments de grâce où la porte qu’on cherchait s’ouvre. Cela rend l’amour pour ses proches encore plus grand et plus serein. 

Pierre est un passeur. Aujourd’hui encore il serait prêt à m’apprendre la longue connivence des plantes, comme il m’a appris la tapisserie et essayé de me transmettre sa passion pour le tennis. Il sait très bien quelles sont les découvertes artistiques que je lui dois. Il ne peut s’empêcher d’ouvrir des portes.        

Et je vais continuer un peu plus à revenir sur les instants où il m’a fait basculer ailleurs. J’espère pouvoir encore accompagner les étapes qu’il franchit aujourd’hui.

Juste accompagner, avec quelques mots que je sais écrire. 

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