Jeudi 16 août 2007, Carnoux ou la nostalgie

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En remontant de Cassis ce quinze août, nous avons eu la bonne idée de traverser Carnoux-en-Provence. J’avais certainement déjà dû avoir l’occasion d’y passer il y a…quarante ans. Garrigue, collines, odeurs de pins brûlés, assourdissement des cigales. Une banlieue de Marseille au milieu de rien, ou plutôt au milieu de ce qui pourrait être le bonheur ; à quelques centaines de mètres d’une descente vers la mer.

Cela me rappelait fortement Allauch où nous étions allés déjeuner chez un compagnon de captivité de mon père. Ce grand gaillard n’a cessé de répéter pendant des heures : « Il m’a sauvé la vie…il me donnait sa ration… » en nous bombardant d’une douzaine de poulets rôtis, de monceaux de frites et d’un tombereau de babas au rhum et de religieuses au chocolat. Devenu patron d’un élevage de poules, il voulait se venger avec nous de ces longs mois d’exil et de froid où il avait failli mourir…et nous redonner en une seule fois, tout ce que mon père lui avait laissé en partage pour nourrir son grand corps amaigri, porté à la limite de la folie… 

La lecture du site provenceweb donne une clef de lecture qui nous aurait servi de passeport si nous l’avions lu avant : « A l’origine Carnoux a été créé de toute pièce, par quelques français rapatriés du Maroc en 1956 qui cherchaient un coin de Provence pour s’installer.  Après s’être regroupés en coopérative immobilière, ils achètent avec leurs économies 300 hectares aux communes d’Aubagne et Roquefort la Bédoule et sans aucune subvention ni aide publique, ils construisent courageusement et avec intelligence la majeure partie de l’infrastructure actuelle permettant ainsi à leurs compatriotes de venir s’installer à Carnoux. La première municipalité avec un statut identique aux autres communes françaises n’a été installée qu’en 1967. Ceci explique que vous ne trouviez pas de « Vieux Carnoux » à visiter ! » 

Nous sommes en effet tombés dans une sorte de faille du temps. Pour la fête à la Vierge, mais pas n’importe qu’elle Marie : Notre-Dame d’Afrique bien entendu.

La grand place bruissait de centaines d’habitants attablés et d’un orchestre de bal populaire. On y vendait des T-shirt nostalgiques, dans une ambiance de lendemain de guerre, tandis que dans le bar tabac tiercé, une sorte d’Afrique du nord blanche, épurée et coloniale, se retrouvait en se serrant les coudes. 

Génération des jeunes des années cinquante tournoyant sous les platanes, tandis que leurs enfants ont déjà presque atteint l’âge de la retraite.  

Des pâtisseries orientales, des beignets et des images de racines faites de pieds noirs plongeant encore dans les riches plaines fertiles, de l’autre côté de la mer. 

Il est rare de passer ainsi sans s’en rendre compte le mur du temps. Il est par contre instructif de comprendre le pourquoi de ces affrontements entre communautés et de ces votes extrêmes qui, durant des années, ont fait la joie – et constitué le fond de commerce – d’un tribun de foires borgne. 

Mais on ne sait vraiment pas en s’éloignant si une telle enclave ne va pas se résorber d’elle même en se repliant dans l’espace-temps qu’elle habite et disparaître, sans que nous puissions jamais la retrouver. 

Pourtant une journée auparavant, en admirant le nouveau tram de Marseille, nous avons été abordés par une dame d’un certain âge qui nous a exprimé toute sa douleur et son mal être.  

Tant de mois à supporter des travaux poussiéreux pour céder la place à des nouveaux riches.  

Tant d’années à regarder d’un air effrayé les métissages d’une ville colorée, à sentir son propre territoire envahi et à se croire repoussée par ceux qu’elle considérait responsables de son départ d’Algérie.  

« J’ai mon fusil, et je les attends » nous dit-elle. Qui exactement ? Les édiles municipaux, les investisseurs, les promoteurs, ou ces enfants aux cheveux crépus qui jouent au ballon sur les voies du tram et ne vont pas abandonner sans combattre leur rue à la modernité ?

Pour combien d’années encore ?

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