
J’ai retrouvé au fond d’un tiroir ce livre que j’ai acheté en 1967. Il venait d’un exilé que j’ai déjà évoqué, Milan Kundera. J’avais bien entendu oublié que la mémoire est présente dès la première page de « La Plaisanterie ». :
« Un jour, les mythographes qui se parent du nom d’historiens écriront à leur façon l’histoire de la Tchécoslovaquie, cinquante années bientôt, et l’on peut être sûr que, ce jour-là, ce sera selon les yeux du vainqueur, quel qu’il soit, qu’ils en noircissent les pages. Peut-être, sinon sur la colline qui domine Prague, au moins dans l’édifice des paroles, reconstitueront-ils cette statue de tyran qui surplomba si longtemps la ville et qu’on dut pourtant se résoudre à dynamiter. Le nouveau Monument même tout autre, de toute façon traduira la loi du plus fort. Ni dans la pierre sculptée ni dans la légende composée les gens ne trouveront l’explication véritable de ce dont nous fûmes témoins. La fausse science ne fait que maquiller les faits. »
Paradoxalement, ce texte, qui ouvre le roman qui a commencé la célébrité du romancier, est signé Aragon.
Je ne connais toujours pas Prague…même si cinquante années ne sont pas encore passées. Mais j’ai pu apprécier la vitesse de la séparation qui se creuse entre les jeunes Tchèques et les jeunes Slovaques, dont les parents ont lutté pour redonner de l’honneur à un pays.
Memento Mori.
Ce pays rabouté dans l’Union Européenne, ne peut ainsi continuer à contempler sa propre mort en tant que pays !
Je me souvenais justement que la dernière fois que je me suis rendu à Bratislava en octobre 2004, je suis allé, accablé de fatigue, me reposer dans un cimetière, où je me suis endormi. Dans le dédale des tombes et des noms et la mélodie des cris d’oiseaux.
Comme l’écrit un peu plus loin Aragon : « Dans La Plaisanterie, l’un des personnages, parlant de la pensée bureaucratisée dans son pays, des gens qui l’expriment et mettent en toute chose leur interprétation des faits, dit tristement : C’est vrai qu’eux sont comme ça, ils savent tout d’avance. Le déroulement des choses à venir leur est déjà connu. Belle lurette qu’il a eu lieu, l’avenir, pour eux ce ne sera plus qu’un recommencement…Je ne connais pas de phrase comme celle-là pour me donner le frisson. Elle ne vaut pas que pour la Tchécoslovaquie, imaginez-vous bien. »
Demain, j’attends pourtant d’être étonné, comme chaque jour !