Vendredi 27 avril 2007, Dudelange : les migrations dans leur nudité

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La coordination de Luxembourg et Grande Région 2007 a décidé de disposer de temps forts au passage des saisons. Ces derniers jours d’avril, jusqu’à la Fête du Travail accumulent donc des occasions. Il y aura le feu ce samedi partout sur les fortifications. L’anniversaire Vauban en est le prétexte. Mais l’idée de faire la fête est en première place. Je ne me suis pas rendu aux feux de joie…pris dans les derniers regrets et le dernier deuil, mais je ne pouvais pas manquer l’une des expositions que nous avions annoncées en permanence pendant plusieurs mois : ReTour de Babel, ou la mise en évidence de la mixité du Luxembourg, des parcours de tous ceux qui composent une mosaïque, de ceux qui sont parfois minoritaires, mais dont la culture enrichit par la parole, le verbe, l’écriture, le corps, la danse, la cuisine…ce pays qui ne compte parfois ses richesses que dans les couloirs souterrains de ses banques. 

Le Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, sait être émouvant. Je dirais même approprié, quand il arrive sans notes, comme chez lui et qu’il sait que le sujet qu’il aborde fait partie de son identité. Il est arrivé en retard à ce vernissage. En retard, comme la plupart et comme les autres ministres qui avaient fait le déplacement de Luxembourg ville à Dudelange : Octavie Modert pour la culture Nicolas Schmidt pour les Affaires Etrangères et l’immigration et Mars di Bartolomeo, non pas en sa qualité de Ministre de la Santé, mais d’ancien bourgmestre de la ville… 

Au fond, même si les cantons dans lesquels les uns et les autres se font élire ne sont pas forcément ceux du sud du pays, il est réconfortant de constater que ce sud industriel et migrant, italien et portugais, plus pauvre, plus heurté, est pour une grande part inscrit dans l’identité de chacun. 

Jean-Claude Juncker s’affaisse un peu sur son micro quand il évoque le long chemin en voiture sur cette autoroute dont il rappelle que sa construction a soulevé des critiques. Qui empruntera donc une autoroute entre Metz et Luxembourg ? Qui en effet sinon une bonne moitié des 40.000 frontaliers qui font chaque jour le va et vient ?  Mais il prend finalement le micro pour confident lorsqu’il raconte ses jeux d’enfant et ses voisins italiens. La petite Italie se trouve de l’autre côté de la voie de chemin de fer et l’écho de sa voix résonne dans l’énorme volume de ce bâtiment désaffecté des aciéries Arcelor, devenues entre-temps Arcelor-Mittal.  

Sa voix fait écho à celle des enfants qui jouent dans les rues d’Esch ou de Dudelange dans les années soixante, en écoutant les rumeurs de guerre à Cuba, celles capturées par le roman devenu film « Perl oder Pica », celles des écoliers qui constitueront la première génération vraiment riche, celle qui sortira de la période industrielle triomphante, après la période des vaches maigres du monde rural. 

Un Premier ministre peut parfois tirer de meilleurs bilans de son action entre deux comptoirs pour la bière, que devant ses collègues économistes de la Commission Européenne. Ce hall industriel finalement lui plaît bien. Et les portraits qui peuplent les grandes loges conçues par des scénographes particulièrement doués, utilisant à la fois une intériorité nécessaire, une intimité troublante et l’envol d’un plafond à plus de vingt mètres de hauteur, lui parlent du passé et du présent.

En recherchant le particulier qu’il connaît bien : ses voisins devenus électeurs en quelque sorte, il peut aussi toucher à l’universalité du déplacement, de la migration et de la recherche d’une reconnaissance en terrain d’accueil.  Ce travail là, qui serpente entre voitures d’époque, objets quotidiens, agrandissements de passeports, trajets de vies, fétiches qui relient au passé et aident à vivre le présent, photos d’intérieurs, me rappelle les travaux de mon ami Patrice Hugues sur les intérieurs. Mais contrairement à Patrice, plasticien et historien, spécialiste du langage du tissu, ici, le tissu parle à égalité avec d’autres données concrètes. Une statuette, apportée pendant le voyage ou offerte par un parent. Talisman !  Un ours en peluche, une brosse à dents…Autres talismans pour conjurer le sort!

Partir, dans la guerre. Arriver dans la paix, mais connaître la crise. 

Partir comme un proscrit, depuis Victor Hugo, symbole.  

Arriver avec un accent, une odeur, une nostalgie au bord des larmes.  

Arriver pour, et être reçu contre. 

Se syndiquer. S’installer. Ouvrir commerce. Voter. Avoir des enfants. 

Il faut cependant revenir à des notions qui semblaient dépassées, qui le sont pour les plus jeunes : affirmer ses droits, affirmer sa classe.  

Il y a beaucoup dans ce dédale. Et un catalogue que l’on attend. Mais déjà beaucoup dans la sensibilité… Je suis rarement aussi enthousiaste pourtant. Au point d’y revenir.

Et de me regarder dans le miroir de cette exposition : y-a-t-il une loge pour moi ? Suis-je réellement un migrant dans ce pays ?  

En effet il faut que j’y revienne.

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