Mardi 29 mai 2007, Echternach, une procession dansante de plus

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Décidément, mon temps est trop court. J’ai l’impression de rester avec une mémoire en retard. J’aurais voulu continuer à évoquer les photos souvenirs de Sicile, revenir un peu sur la politique italienne et la création du parti démocrate, comme contre-modèle positif à la situation française ; puis reparler plus longuement des pèlerinages, au Puy-en-Velay, et puis de l’importance des migrations, et puis…et puis…j’ai dû terminer la synthèse de la Commission du partage citoyen et c’était plus long que prévu, mais passionnant, du moins pour moi. 

Alors entre le Camino de Jordi Savall et la procession dansante de ce matin, le temps s’est compressé.  

Un instant, un court instant de quelques heures pour revoir ma fille Sylvaine et Karim hier, dans leur quête continuelle d’objets bizarres. Ils transportaient un fauteuil de coiffeur récupéré à Thionville et ont franchi la frontière pour me rejoindre et déjeuner…Ils sont passionnés par le choix qu’ils ont fait de s’installer à Orléans. Ils quittent Paris, sans s’en éloigner vraiment. Ils cherchent du calme. Je les comprends. 

Et puis Georges Calteux est venu m’entretenir de son projet ; un de plus pour continuer à allumer ses passions de Directeur des Sites et Monuments à la retraite, de musicien de la musique municipale d’Echternach et donc, partie au défilé de ce matin, toujours enseignant à Trèves, et éternel tubiste…de surcroît, Vice-Président du Festival et nouveau Président de la Maison de la Culture et du Tourisme, qui tarde à ouvrir, mais où on pourrait bien faire un colloque sur l’espace rural l’an prochain.

Il vient de préparer avec ses élèves un projet d’itinéraire transfrontalier sur « l’aigle bicéphale », qui prend pour objet l’influence du Palais Abbatial d’Echternach sur l’architecture rurale baroque transfrontalière…un projet qui lui tient à cœur. Je n’oublie pas qu’il a fait ses études d’architecture à Vienne et que Marie-Thérèse – l’Impératrice d’Autriche et du Luxembourg – continue de l’intéresser. Et puis ce serait une belle manière de renouveler l’intérêt pour l’itinéraire de l’habitat rural, vingt ans après !  

Mais pour tout cela, il me faudra le temps d’écrire. 

Alors je ne ferai ce soir qu’une citation sur l‘étrange travail de la mémoire. 

Je ne connais pas l’Océanie, mais j’aime l’écriture de J.M.G. Le Clézio, depuis que j’ai lu son premier livre au lycée, le Procès-Verbal. Son dernier livre « Raga, approche du continent invisible » est resté longtemps à mon chevet, comme une boîte de bonbons dans laquelle on puise jour après jour. Je ne connais toujours pas l’Océanie, mais je peux en rêver avec lui. Il y raconte en effet une histoire de mémoire et de légende, telle qu’elle se crée et s’intègre à la tradition. Il évoque le récit du chef Willie, chef et homme d’affaires à la manière de Vanuatu.

Je vais la résumer en espérant que chacun ira la lire en entier…mais elle part du quai où Sa Majesté Elisabeth II a débarqué au moment de l’indépendance. 

«Ici même, devant la plage », reprend Willie, « se trouvait autrefois un village de pêcheurs qui a disparu. Un jour, les gens du village ont vu à l’horizon une grande voile, et c’était un grand bateau noir, avec des mats très hauts, plus grand encore que le bateau sur lequel tu as voyagé. Au village, tout le monde avait peur, parce que nous savions déjà que les Blancs qui venaient sur ce bateau étaient mauvais, qu’ils volaient et pillaient tout, qu’ils enlevaient les hommes et les femmes pour les vendre très loin. Alors ils se sont sauvés vers la montagne et ils se sont cachés dans la forêt, en attendant que le bateau reparte. Mais sur la plage, devant le village, ils avaient oublié une enfant, une petite fille de onze ans qui s’appelait Véveo, comme la palme avec laquelle les femmes tissent leurs nattes. ..La petite fille Vévéo est devenue leur prisonnière, ils l’ont emmenée sur le grand bateau, et elle avait beau crier et supplier, ils l’ont emmenée quand même, et ses parents ne l’ont plus jamais revue. »… 

« Chaque jour, sa mère et ses frères guettaient son retour. Ils attendaient que revienne le grand bateau noir. Puis ils sont morts, et leurs enfants ont cessé d’attendre. Mais ils savaient qu’un jour Véveo reviendrait, que les Blancs rendraient l’enfant qu’ils avaient volée. »  

« Alors quand les gens d’ici ont su que la reine devait venir, ils l’ont attendue. Ils l’ont su avant même que le gouvernement ne l’annonce. Quelqu’un l’avait rêvé, et cela devait se réaliser. La reine viendrait ici, elle toucherait la terre à l’endroit même où Véveo avait été enlevée. Ce n’était pas l’enfant qui revenait, mais la reine rendait justice aux gens d’ici, elle amenait avec elle son mari le prince consort, pour qu’il prenne la place de Véveo. C’est pourquoi les gens l’ont acclamée quand elle est descendue. Mais leur espoir a été déçu, parce qu’elle a remporté le prince avec elle et la justice n’a pas été rendue. » 

Mémoire, justice, partage. 

Je viens juste de me souvenir de la dernière phrase que j’ai installée à la fin de la synthèse sur le partage citoyen, en souvenir du personnage qui a inspiré cette réunion, une phrase prononcée par le Père Kovac, philosophe à l’Université de Ljubljana, qui prépare un colloque pour octobre sur saint Martin  : « C’est le pauvre qui enseigne l’ordre éthique à Martin ».

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