
La porte du psychanalyste s’est refermée hier soir sur la chaîne Arte. Un peu comme si j’avais fait partie des patients reçus dans ce cabinet parisien où le canapé rouge ressemble tellement au mien. Je me sens déjà orphelin de cette famille d’acteurs absolument remarquables, appuyés sur des textes qui laissent fascinés par leur justesse.
Inoubliable ! Et je ne l’écris pas si souvent ce mot !
Un médecin angoissé qui se méfie de tomber dans une technicité psychologique et cherche l’exutoire à ses propres conflits en se disputant régulièrement, come une issue d’une longue complicité avec son médecin référent.
Une jeune infirmière qui soigne son angoisse et sa nuit de novembre consacrée à accueillir les rescapés du Bataclan, par une séduction franche, permanente et un peu éperdue.
Un policier d’origine algérienne, lui aussi marqué par son intervention au Bataclan et souterrainement poursuivi par une origine maghrébine niée et refoulée, au point de rechercher le sacrifice en Syrie.
Une adolescente suicidaire championne de natation, déchirée par des parents à la fois trop absents et trop présents.
Un couple qui se meurtrit en permanence et manque de peu les routes croisées hebdomadaires du canapé, par une série d’actes manqués.
Je n’ai aucune honte à avouer que je regarde de manière devenue addictive des séries télévisées depuis la fin de l’année 2015 où la lucarne magique a fait sa réapparition dans mon environnement.
C’était après les années passées à l’abri de murs du Moyen-Âge à Echternach, puis après celles où j’ai regardé couler l’Ill sous le barrage Vauban, tandis qu’en sortaient, un par un, les personnages d’un roman écrit « Aux Sources de l’Europe » dans les allers et venues temporelles des villes thermales.
Pendant cette dernière saison professionnelle, seules les séries fantastiques, comme le Docteur Who, ou les transmédias élaborés par Arte m’ont suffisamment captivé, voire même happé pour que je crée ma propre télévision mémorielle.
Depuis les mois qui ont suivi un AVC malvenu et sans doute aussi en raison de la banalisation ou encore de la prudence des différentes chaînes en langue française, je me suis laissé bercer, avant l’entrée dans le sommeil, par de banales intrigues policières dont les plus créatives, comme « The Bridge » pour la plus récente font, sans jeu de mot, le pont avec l’atmosphère créatives du Nord de l’Europe, bien éloignée des mauvais imitateurs de Georges Simenon qui tentent l’humour comme un remède bien inutile à la pauvreté répétitive des scénarios.
« En Thérapie », la série la plus vue de l’histoire d’ARTE », comme le titrait le journaliste intrigué de France Inter, en développant ainsi :
« La série qui sonde les failles d’une société en état de choc après les attentats du Bataclan en 2015, rencontre un vif succès. Depuis sa sortie le 4 février dernier, la plateforme de streaming d’Arte cumule plus de 36,5 millions de vues. Un record jamais vu dans l’histoire de sa plateforme numérique. »
Et le Président d’Arte d’enchaîner fièrement :
« Ce succès s’explique par notre stratégie éditoriale, qui offre différents bouquets. Nous accordons la même importance à trois propositions éditoriales à la fois différentes et complémentaires : la chaîne Arte, la plateforme numérique arte.tv et la chaîne sociale, sur Youtube et les autres réseaux sociaux. On essaie de correspondre à chacun des usages et cela élargit forcément le public ».
Mais c’est là essentiellement de l’autocongratulation marketing, pas de l’analyse sociale, voire esthétique.
Le public a-t-il été séduit par une « petite forme » : peu d’acteurs, peu de décors, peu d’échappées vers l’extérieur. En un mot, l’entrée dans un cercle fermé, un peu secret, où viennent par essence se cristalliser les rumeurs alarmantes d’un monde en dérive, aujourd’hui mondialisé dans sa souffrance par une pandémie que la télévision rend d’autant plus spectaculaire que l’information en est répétitive et saturée.
En parler, mais sinon à voix basse, du moins dans l’intimité.
J’exagère sans doute, mais je n’ai pas trouvé d’autre référence intime m’ayant aussi marquée que la découverte dans un cinéma de Toronto en 1981 du film de Louis Malle : « My dinner with André ».

La suite de l’interview me semble plus pertinente :
« Un succès que la série doit aussi à sa temporalité, rappelle le président d’Arte : « la série est vraiment excellente, d’un niveau qualitatif rare. Et puis elle tombe au bon moment puisqu’elle parle d’un moment difficile. Par les hasards de l’Histoire on la propose en pleine pandémie, dans un moment où l’ensemble de la société vit quelque chose de problématique. Elle parle de la valeur de la parole et dit : « Et si l’on s’écoutait ? » C’est tout à fait ce dont on a envie aujourd’hui. »
Et le journaliste d’ajouter :
« Le succès d’autant plus étonnant que la série, réalisée par le duo Olivier Nakache et Eric Toledano, n’est diffusée qu’en France et en Allemagne, enfin, « pour l’instant », selon les mots de Bruno Patino. »
Je me joins, plus que volontiers à tous les compliments, ce qui fait que je regrette d’autant plus le conflit qui est intervenu depuis le tournage entre le producteur et les auteurs dont la conséquence est que le rideau est bien retombé sur cette série qui aurait pu toutefois continuer avec le vieillissement et le renouvellement de ses personnages. Succès des cures, ou non !
Polémique ou plutôt symbole des structures financières parfois malsaines du monde de la production des projets destinés aux cinéma documentaire ou co-produits par la télévision ?
« Nous qui avons tout écrit, et connaissons l’architecture de l’ensemble de la série, nous voulions garder contractuellement une place à la table des discussions jusqu’au bout… La production nous l’a fait miroiter, et n’a pas respecté ses promesses. Mais nous avons notre part de responsabilité. Après vingt-cinq ans de métier, croire encore en la parole d’un producteur, il faut être idiot ! » En effet, les scénaristes de la série désiraient être crédités d’une direction artistique ou d’une coproduction. Vincent Poymiro précise :
« Éric et Olivier ont été évidemment déterminants pour le projet, l’idée n’était pas de donner notre avis sur leur mise en scène ou leur casting, de prendre le pouvoir sur eux, simplement de le partager ! Notre apport étant quand même essentiel, nous voulions juste qu’il soit crédité comme tel. Et puis c’est important pour les auteurs, d’un point de vue artistique, d’accompagner ce genre de série pendant le tournage, jusqu’au bout. Un comédien peut avoir envie de modifier des répliques, mais les scénaristes qui connaissent l’ensemble du texte savent que telle phrase peut être modifiée ou que telle autre doit être maintenue, parce qu’elle va résonner dans l’un des épisodes suivants, par exemple… »
Pour moi, une controverse un peu vaine devant le souvenir que j’en garderai certainement intact dans mon musée mémoriel !
N.B. Après les Etats-Unis avec «In Treatment» et une multitude d’autres pays, les cinéastes français Olivier Nakache et Eric Toledano adaptent la série israélienne «BeTipul». Une réussite, pour ce huis clos sous tension permanente, entre un psy et ses patients marqués par les attentats du 13 Novembre.