La Saint Jacques à Fontcaude

25 juillet. C’est un peu par hasard que je me suis retrouvé à Fontcaude. Abbaye et lieu d’amitiés multiples. Le hasard c’est l’obligation de José Maria Ballester, le père des itinéraires culturels, de se faire opérer et donc son impossibilité de répondre à une invitation pour la Saint Jacques. Mais le hasard et la nécessité – il faut bien que je rende de temps en temps hommage à ceux de mes maîtres comme Jacques Monod et François Jacob qui ont reçu le Prix Nobel quand je rentrais à l’Université en reliant ces deux mots – m’invitaient à de ne pas décevoir quelques centaines d’auditeurs qui venaient en ce lundi écouter une belle histoire : celle des itinéraires culturels depuis leur naissance en 1987.

Ils venaient tout autant écouter le chant grégorien remis en ordre par le maître des lieux, l’ami qui a su à la fois trouver les moyens de restaurer un patrimoine, de l’animer, de créer une Confraternité de Septimanie de Saint Jacques et d’y faire venir, comme il se doit, des croyants et des agnostiques, des marcheurs et des politiques et célébrer son ami disparu Georges Frêche : je veux ainsi désigner le Professeur Jacques Michaud.

On m’a demandé si j’étais souvent invité dans différents lieux d’Europe pour la Saint Jacques. En fait, ce n’est pas le cas ! De même qu’on ne me demande que rarement d’évoquer cet itinéraire pourtant fondateur pour lequel les universitaires se plaisent dans les querelles, voire les haines tenaces et où il m’est donc difficile de transmettre des faits précis sans me confronter à des controverses.

Ce que je sais, je le dois à José Maria qui, pourtant m’avait laissé faire mes propres recherches lors de la préparation de la réunion que j’ai préparée en 1993, Année Sainte où le Conseil de l’Europe a choisi de « relancer » les Chemins. Je le dois aussi à la préparation d’une intervention à Burgos il y a de cela déjà sept ans.

J’ai toutefois lu tout ce dont l’Institut européen des Itinéraires culturels dispose et tenté une synthèse pour un ouvrage qui n’a jamais été publié mais dont une partie du principe sera repris par le Touring Club italien cet automne 2011.

Ce que je sais, je l’ai aussi en partie découvert à O Cebreiro en 2007 lorsque la Galice a su remarquablement organiser un hommage à Elias Valina, ce juriste qui a en 1965 publié un ouvrage historique et juridique sur le Camino Francés, a commencé le balisage en Espagne et a su faire restaurer ce village perché, porte d’entrée du chemin en Galice où le soleil levant est si beau quand il lèche le granite.

J’ai donc parlé dans la cour de l’Abbaye, jusqu’à ce que la pluie menace. J’ai parlé sans images, contrairement à ce que je fais à l’habitude et avec un grand étonnement de ma part devant l’attention réelle du public, en étant porté par l’intelligence et la complicité du public, où pourtant je ne pouvais que rarement m’appuyer sur des visages connus.

Ahn Dao Traxel, la fille adoptive de Jacques Chirac et son mari qui étaient venus remettre à un pèlerin « l’Etoile Européenne du dévouement civil et militaire » figuraient dans les premiers rangs. Les idéaux européens étaient donc représentés et je n’ai donc pas eu trop de mal à proposer un autre horizon que celui de la « crise européenne » que les politiques ne savent ou ne peuvent arrêter quand il ne la suscitent pas eux-mêmes.

Il s’agissait pourtant, dans ce lieu de culture vivante, loin de toute idée de frontière contraignante et en pariant sur l’importance encore aujourd’hui des grands espaces transfrontaliers comme cette Septimanie allant de Narbonne à Tolède, de revenir à la fois sur le rêve fascinant de la traversée des frontières et sur l’importance de la protection des identités, comme de celle des nations et d’insister pourtant sur les valeurs partagées.

Et de souligner les besoins, comme les dangers de concilier ces notions contradictoires.

Il n’est jamais aisé de parler de la limite, de celles-ci en particulier, surtout quand son franchissement commençait pour les prisonniers français en Allemagne, par les barbelés du stalag.

Frontière d’alors entre les démocraties libérées et le monde totalitaire espagnol où le saint national et le pèlerinage avaient été instrumentalisés par le régime franquiste durant tant d’années et le seront encore jusqu’à l’agonie de leader.

Frontière franchie pourtant par le Père Henry Branthomme. Pays redécouvert, écrit et bientôt filmé sous l’inspiration ce religieux empli d’espoir, dans la puissance de son antique culture rurale, encore plus puissante au début des années cinquante que dans nos campagnes d’Île de France.

Un film qui devint dans la nuit tombante, sur les murs de l’abbaye, un rappel nécessaire de ces instants où une démarche pionnière ouvre une voie.

Rêve de croyant rejoignant ainsi le rêve mythique de Charlemagne et, paradoxalement, le souci de Régis Debray de redéfinir ce que sont nos limites physiques quand elles s’inscrivent dans l’illimité des chemins et du paysage.

La nécessité de cette protection de la peau, de l’importance du champ d’intérêt et de découverte dans lequel  nous nous inscrivons en marchant avec les autres et du rôle fondateur des iconèmes et des limites qui ponctuent le chemin et le définissent comme itinéraire. Comme l’écrit Debray « Là où le chemin creux s’enfonce dans le sous-bois, le monde se ré-enchante. »

De la Saint Jacques le 25 juillet à la Saint Olav le 29 juillet, un effet de miroir s’offre à nous.

Les enfants morts de  la Norvège étaient bien présents dans cet après midi du sud de la France, comme les amis de Fontcaude l’étaient au cours des repas œcuméniques de Trondheim.

Un jumelage devrait se faire…le 25ème anniversaire des itinéraires culturels y pourvoira peut-être ?

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