En direct de la fin du monde

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Deux ouvrages se sont succédés sur les
routes que j’ai parcourues ces derniers jours. Etrange chemin destiné à parler
encore et encore des itinéraires culturels : Bruxelles, Paris, Bastia,
Rome, Prague et Strasbourg.

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Des avions et des trains. Des aubes qui
se lèvent sur la Méditerranée, ou sur la campagne romaine. Juste le temps de
sentir une autre odeur, celle des pays balayés de sel. Orages d’automne sur les
maquis et les pins parasols. Et un dernier vol vers Strasbourg en compagnie
d’Adrian Nastase. Il est vrai que la session d’automne de l’Assemblée
Parlementaire commence demain. De curieuses rencontres, vraiment !

Je me pose chez moi avec les auteurs qui
m’ont tenu compagnie et maintenu en haleine, tout à la fois. Vincent Engel (Le
mariage de Dominique Hardenne, Jean Claude Lattès août 2010
) et Laurent
Gaudé (Ouragan, Actes Sud 2010), tous deux très diplômés, l’un avec le
Prix des lecteurs du Livre de poche et l’autre avec le Prix Goncourt.

Ils se retrouvent étrangement,
ensemble, sur les chemins du désespoir, dans une ambiguïté constante entre
confiance en l’homme et donc en l’avenir et réalisme envers les forces du mal.
Mais ni l’un ni l’autre ne laisse planer de doute sur le vide du monde et le
vide du ciel. Il n’y a pas de Dieu au-dessus des malheurs, juste des hommes qui
se consolent comme ils le peuvent, et des vrais méchants. Mais aussi d’étranges
optimistes qui construisent le chemin, ou l’annoncent. 

Nous pourrions être en 1914, la fleur au
fusil. Des hommes de la campagne et des citadins se retrouvent sur les sentiers
de la guerre. Mais en fait, nous sommes aujourd’hui, ou demain peut-être. En
tout cas dans une Europe où les bombes dernier cris se croisent. Hiroshima
contre Nagasaki et pire encore. Des bombes propres dans les villages des
 grandes plaines françaises où l’on cultive les céréales.

Et l’errance inutile entre le temps des
grandes explosions, dans l’absurdité de territoires que plus personne ne
contrôle. Quand les télévisions et les radios cessent d’émettre. Quand plus
personne ne sait rien et que les derniers survivants tuent les derniers
survivants. Par réflexe, pour suivre une démarche meurtrière jusqu’au bout, ou
s’enfoncer dans une logique vide.  

Et l’idée de la survie. Du dernier
survivant. Des moyens de survie. L’organisation des journées du dernier
solitaire !  

Ce dernier homme-là raconte. Avec
pudeur. Il aurait pu être l’un des rescapés des guerres napoléoniennes, ou bien
le soldat de Ramuz qui s’en revient chez lui avec son violon. Il est venu de la
terre et veut retourner sur son territoire familier. Retourner à la terre, ça
il sait qu’il le devra. Mais avant il faut retourner la terre et tenter de
relancer la vie. 

Etrange et « belle »
atmosphère que celle créée par Vincent Engel. Et le pire c’est qu’on y croit.
Que l’on croit à ce village vitrifié où ceux qui étaient à l’église y sont
restés figés, comme ceux qui étaient au bordel. Un dimanche ordinaire quand est
venu le grand éclair. 

Et Hermès revient en visite, ou plutôt
Asmodée soulevant le toit des maisons pour en connaître les secrets. Comme pour
le petit violoniste, le temps a passé. Aujourd’hui, Dominique peut pousser
toutes les portes et ouvrir tous les tiroirs. Il dispose des réserves de tous
les foyers. Il peut regarder les corps là où ils sont tombés, là où la mort les
a pris. Pompéi des temps modernes, le village n’a plus de clôture.  Mais
il n’y aura pas d’autre visiteur et sans doute jamais de musée. 

Et Dominique Hardenne, l’homme seul,
veut, contre tout, faire que le blé renaisse, que le moulin redonne de la
farine, que les arbres refleurissent. Il veut se marier avec celle à qui il a
pensé pendant six ans ; fidèle contre tous et toutes.
  Même s’il la
retrouve dormant dans un lit de maison close. Il veut se faire élire maire et
se venger des haines ordinaires du père de sa fiancée. Il est seul et tient,
seul, l’ordre des choses ordinaires.  

Il veut être le premier homme. Mais il
ne sera, bien entendu, que le dernier.  

Le climat dérangé, le vide sidérant,
l’absence de réponse, la folie de la solitude, le terrible sentiment de
structurer vainement ce qui redevient sauvage…Trop, c’est trop.  

Mauriac écrivait dans Asmodée justement,
suscitant le dialogue entre le maître et l’élève :  

« – J’ai une âme bien ordinaire, monsieur Couture.       

– Vous pourriez aller très loin, ma petite Emmanuelle, si vous acceptiez
mes conseils.

– Oh ce serait trop loin pour moi. M. le Curé me dit « restez
ce que vous êtes, une petite enfant », il dit que c’est ce que le Bon Dieu
attend de moi.

– La volonté de Dieu n’apparaît pas toujours aussi clairement que ce
brave homme l’imagine.
 » 

Et la volonté sans Dieu, cher François Mauriac ? 

Une âme ordinaire va pourtant sombrer. Tandis que les fourmis enfouies,
entêtées, sauront trouver le chemin…d’une autre évolution. Le chemin d’une
autre vie. 

J’ai vraiment aimé la construction de ce livre. Il ne dit rien de trop et il
dit tout. Il est l’expression d’un regard de combattant, d’un homme simple,
harassé. Le style vient nous toucher par un effet d’accompagnement. Et nous
toucher c’est déjà beaucoup dans ces temps qui pourraient nous attendre,
constituer notre quotidien. 

Mais en ce qui concerne le second, j’ai puisé en moi les vertus de
l’admiration. Il y a longtemps que je n’avais pas trouvé une langue aussi
admirable, grâce à laquelle plusieurs récits se superposent et parfois se
joignent avec une virtuosité qui n’a rien d’artificiel. Une langue où Faulkner
et Steinbeck se faufilent en redessinant l’épopée du temps et des hommes, sans
souris. 

« Le jour s’est levé, mais je sais que le pire nous attend. L’heure
qui vient, c’est celle des chacals, et moi Josephine Linc. Steelson, je sais
reconnaître leur odeur entre mille. Je suis montée au premier étage et je me
suis assise près de la fenêtre en faisant bien attention à cacher ma vieille
tête de négresse derrière le voilage. Je veux voir sans être vue. Et je ne me
suis pas trompée. Les ombres envahissent les rues et prennent possession de la
ville. Ils seront pires que le vent
. » 

Par contre, Laurent Gaudé se situe résolument dans l’actualité. On est sans
nul doute en cette fin d’été 2006 en Lousiane, lorsqu’un ouragan met fin
aux certitudes de l’Amérique, cinq ans après le choc des avions, quatre ans
avant la grande marée noire.  Quand l’Amérique abandonne ses nègres et ses
prisonniers au vent et à la marée, à la pression qui tue et aux flots qui
noient. La honte un peu sourde de ce que le monde entier a découvert par
l’image télévisuelle mondiale : l’entassement des réprouvés dans un gymnase
géant, dans un stade couvert qu’il faudra évacuer comme on a fait, en son temps
du Vél d’Hiv.  

Déchets de vies et déchets sociaux, où une négresse règle le chœur des
récitants : le couple qui se retrouve, le temps du sacrifice pour la femme
enfin aimée, le miracle de l’enfant enfin accepté, la cavale des
prisonniers enfin libres, eux aussi maîtres des lieux désertés, mais ceux-ci
sans espoir autre que la vengeance. Le curé devenu ange noir…et tous ceux qui
n’en peuvent plus du maléfice sans fin. Et le poète. Et la voix.

Ceux-là, contrairement à Dominique Hardenne, ne sont plus
seuls :  

« Moi, Josephine Linc. Steelson, vieille négresse à la voix voilée
par toute une vie de combats, je chante. C’est ma façon à moi de caresser le
visage de tous ceux que j’ai devant les yeux. C’est ma façon à moi de sécher
les rues de la Nouvelle-Orléans et de redresser les arbres couchés des
marécages. C’est ma façon à moi de souffler plus fort que le vent.
 » 

Deux romans sur une certaine fin des temps. Ce n’est pas simplement le
hasard. Surtout avec cette puissance d’écriture la ! Et pourtant, ils
parlent surtout par métaphore. Une métaphore de la fin des banques
spéculatives, bombes propres et meurtrières à grande échelle. Une métaphore
de l’inéluctable massacre de la nature. Une métaphore de l’absurde, que
nous élevons comme un ange précieux. 

Ce qui advient, ce qui nous menace vraiment, est certainement d’un ordre
plus intime. Une menace à notre portée. Une menace de la douleur et de la
solitude dans un monde que l’homme sature de cris, de couleurs, d’exigences, de
domination mal assurée. 

Nous attendons, il est vrai. Nous sommes passifs.  

D’un livre à l’autre, pourtant, un paysan et une négresse, deux êtres
d’exception nous réveillent. 

Photo : Rome, quartier EUR.

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