
Dans les urbanités d’Urbino
L’avantage d’un carnet, c’est son caractère compact. Malgré l’exiguïté de la place de train où je suis assis et l’allure surchargée d’un retour du sud vers le Nord de l’Italie, j’ai réussi à trouver un petit rectangle de la tablette pour y poser les pages d’écriture. C’est presque une performance dans des trains que la civilisation n’a pas encore tout à fait atteints.
L’Italie profonde et picturale s’efface sous la pression grise d’un ciel d’usines et l’accumulation de petits immeubles dont la brique ne fait pas oublier la banalité. Nous traversons Piacenza. Milan n’est plus si loin et le ciel se ferme. On ne sait pas si la pollution l’oblitère ou si la lumière merveilleuse de l’Italie succombe à la pression humaine. Cela me fait souvenir des petits matins au retour de vacances d’été quand la fenêtre du train livrait aux yeux la grisaille des façades. Une envie de pleurer après l’expérience des semaines d’altitude.

Nous traversons le Pô, large et calme. Seul rappel qu’une nature peut se réveiller dans le travers du monde. Je suis simplement heureux de savoir que je ne resterai pas dans la ville mais que je vais rejoindre le monde des rizières. La terre semble riche malgré tout et les urbains, nombreux dans le train, semblent s’en contenter.
Je reviens d’un monde de surprises. Ce n’est pas tant que le Moyen Âge et la Renaissance italiens n’aient pas traversé mes routes ces dernières années, mais la Toscane avait par trop capté mon attention. Je pourrais peut-être réessayer une initiative qu’on nommerait Italia / Europa et que cette fois je réussirai en introduisant l’approche que je souhaite, en y regroupant tous les itinéraires culturels disponibles.
Comme souvent, j’ai laissé mes partenaires organiser le monde autour de moi et mettre en place les surprises. Il y en a eu beaucoup. Elles tiennent autant aux bâtiments qu’aux paysages et sans doute plus encore aux structures sociales et à l’invention d’un monde.
Les villes sont en cause. Elles portent des noms prestigieux, connus dans le monde entier : Assisi, Perugia, Urbino. Et, pour d’autres, du seul public italien, sans que leur renommée ait réellement dépassé les régions concernées ou le cercle des spécialistes, en Ombrie et Marques : Gubbio, Valfabbrica, Foligno, Cantiano, Cagli, Fabriano, Acqualagna…dans les ombres historiques de la terre des familles de Montfeltre et des Della Rovere, dans l’ancien duché d’Urbino.
Ce que l’on m’a montré constitue un mélange de pierres mises les unes sur les autres afin de défier le temps et de valoriser le pouvoir. Mais aussi des langueurs paysagères éclairées de lumière printanière, d’une lumière creusant chaque sillon dans la douceur des collines et la recherche de correspondances entre la picturalité et le paysage.

Le paysage acquiert en effet ici un statut à part entière, non plus dans le rêve d’une ville idéale, cité de Dieu où l’ange fait son apparition et va changer le cours des choses et le tracé des fleuves, mais d’un monde idéal, fruit de l’activité de l’homme où le Prince règne en son centre. Ce Prince conduit le monde et le monde lui ressemble, même s’il doit lui accorder de négocier entre des formes de puissance contraires. Ce n’est plus seulement avec Dieu, dont on n’oublie cependant pas le légendaire, mais avec la légende elle-même, constituée et tissée de cultures et d’hommes, que les familles puissantes organisent une forme de vie idéale. Chaque chose à sa place ; chaque fonction à sa place dans un décor fait pour que le Prince soit placé dans la meilleure position possible, à tout moment et en tous lieux.
J’ai eu le plaisir de loger à Gubbio, point focal d’un itinéraire culturel qui nous est proposé, avec pour centre, la route de saint François d’Assise, en compagnie de Sant Ubaldo, patron de la ville. Itinéraire culturel qui est aujourd’hui prévu de Lübeck à Rome, parcours issu du rêve de quelques-uns.
Il faut donc en dire plus.
