

Images d’Athènes, en ce vendredi 13 février au matin
Les sommets sont soupoudrés de sucre glace qui semble agrémenter le sol bien usé. Tout en bas, la mer des oliviers laisse pointer les mats des cyprès, comme autant de bateaux naufragés. Et entre les deux, une aire effrayante est faite de fantômes noirs qui tendent leurs bras vers le ciel. Il fait très froid et le vent agite les palmiers comme des pantins, tandis que la mer des oliviers semble prise par les terreurs de Neptune. Un des plus beaux paysages du monde proteste sourdement contre le sort et la folie des hommes qui risquent bien dans le cours des prochains étés de terminer la besogne commencée et de remettre le feu. Le ciel est lourd, comme s’il compatissait, sans pouvoir intervenir. Il approuve sombrement.
Quel plus grand contraste avec la chaleur de l’accueil qui m’attendait que ce paysage qui marque un usage pervers du monde et la manifestation d’un dérèglement climatique ?
Je prends la route depuis Athènes ver Kalamata dans une atmosphère lourde et glaciale à la fois. C’est la première fois que je viens dans le Péloponnèse et la surprise est de taille. J’ai déjà eu l’occasion de parler de ce qui constitue l’originalité d’un projet comme celui des Routes de l’Olivier. Elle tient autant aux personnes qu’aux parcours, mais également autant aux parcours personnels qu’aux routes suivies. Ce qui constitue le contenu est également partie prenante du contenant.
Je ne me reprocherai donc pas cette fois de mettre trop de poids du côté de la présentation des hommes car ils font beaucoup plus que structurer un symbole. Ils le font vivre.
Il y a de multiples raisons et de multiples sources croisées pour revenir à l’origine du monde. J’en abuse parfois ! Mais l’Odyssée est une source à laquelle nos mythologies modernes ont également puisé, sans vergogne et souvent sans reconnaissance. Les auteurs de films, voire de jeux de rôle et de jeux informatiques y mélangent bien d’autres sources venues d’un Orient encore plus lointain. La recherche de la sagesse des ermites est mélangée à l’aventure des voyageurs de l’espace, sur fond de cabotage méditerranéen…et les vaisseaux spatiaux peuvent enter en danse pour s’ébrouer un jour, dans un océan de poussière froide, sur une planète inconnue, là où les sages échappent aux horribles vers géants et aux insectes surarmés.
Ulysse a trouvé une postérité post-moderne parce qu’il a surgi du fond de nos cellules souches.
Nous avons en partage notre plus grand voyageur. Il a parcouru toute la Méditerranée, à la suite des Phéniciens et, entre la sage guerrière Athéna et le fou tumultueux Poséidon, la choix de l’arbre et de la terre contre les vagues, du rameau contre l’écume, a été vite fait, par les dieux et par les hommes. Mais année après année, le choix est devenu plus complexe. Et il est d’ailleurs chaque jour rendu plus difficile parce que nous plantons sur la mer nos routes aventureuses et que nous naviguons sur la terre ferme entre les écueils climatiques. Ainsi l’alliance entre les dieux continue et le jugement de Zeus hésite de nouveau entre les deux plateaux de la balance.
Depuis le Panthéon, Athéna a accepté la mer des oliviers et, depuis les profondeurs maritimes, Poséidon a du comprendre l’intérêt de porter tous les bateaux du monde sur son dos. Pour les Routes de l’Oliver, il y a d’un côté une aventurier moderne et ses réseaux, le commerce et l’industrie et les fortes relations avec le monde arabe ; et de l’autre, l’organisatrice du contenu et la plus value culturelle d’un produit commercial symbole du sud de la Grèce, de ses paysages et de son éternité.
Les lieux sont identifiés et ils touchent eux-mêmes à une sorte de naissance du monde. Là où un idéogramme réunit la mémoire sur une table d’argile : Pylos, là où l’Olympe dit son origine imaginaire et décrit la filiation du théâtre du monde et de ses acteurs, géants, demi-dieux et déesses, fruits d’amour interdites, d’enlèvements incestueux et de libertés punies.
Entre Jean-Pierre Vernant et Jacques Lacarrière, tout est dit.
Il s’agit d’une histoire à raconter, aux grands comme aux petits. Une histoire merveilleuse qu’il faut savoir conter aux touristes. Mais ces rapports ancestraux et mythiques entre la terre et le ciel, l’eau du ciel et celle de la mer et le caractère éphémère de la présence humaine, ne sont pas aisés à décrire. S’ll n’y a pas de césure entre les deux premières, il faut faire de grands efforts pour dire le légendaire et les voix informatives qui traversent l’espace terrestre, en temps réel, aujourd’hui.
La voix des conteurs qui marchent sur les routes à la recherche d’une oreille attentive n’est au fond pas tellement différente de celle de nos archives sonores qui peuvent être consultées sur un site web hébergé à l’autre extrémité du monde. Tout est là, dans un espace poreux, dont nous sommes aujourd’hui de trop riches héritiers qui n’avons même plus le temps de choisir ce qu’ils vont écouter, parmi tous les possibles qui nous sont offerts en permanence.
Mais je ne fais que commencer l’histoire.
Il était une fois le berceau du monde…