Jeudi 24 janvier 2008 : Luxembourg au temps de l’holocauste

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Dans la cour de mon Abbaye, le retour se fait sans trop de décalage. Comme à l’école après un long temps de liberté.

La cour de Neumünster est parsemée de panneaux, comme un labyrinthe. Je ne peux m’éloigner du mot mémoire qui y figure, et ne le veut.

C’est ainsi que je recherche depuis huit années déjà comment allier ma propre distance vivante, dans le temps de mes proches et le temps de l’Europe à laquelle je participe. 

Cent cinquante ans. Pourquoi cette distance là et pas une autre ? simplement parce que j’ai réfléchi un jour au témoignage de vie qui était le plus éloigné de moi dans le temps. J’ai repensé à mon arrière-grand-mère dont la photographie en positif est restée gravée dans mes yeux. J’en garde aujourd’hui le négatif. Un négatif à l’ancienne que je suppose pris par la lentille d’un appareil Zeiss, avant la dernière guerre mondiale, ou juste après.

Elle s’est protégée d’un chapeau de paille. Elle est vêtue d’une robe sombre et d’un tablier à petites fleurs. Un tablier grand-mère comme dirait Patrice Hugues.  De ces tissus imprimés, peut-être de Mulhouse, dont les motifs sont si petits qu’il n’est pas obligatoire d’être une couturière exceptionnelle pour que les coutures soient parfaitement ajustées. Et à la main un râteau.

Le jardin n’est pas si grand, mais les feuilles de houx tombent tous les jours. Et il faut tous les jours recommencer de nettoyer. Un travail parfait, qui tend vers l’éternité. Elle a passé les quatre-vingts ans. Je la connaîtrais vraiment quand elle aura pris le tournant des quatre-vingt-dix et qu’elle me gardera parfois les après midi de congés, en me menaçant du pire, sans en croire un mot. Je dois me souvenir qu’elle me parlait des années 70, du temps des Prussiens, de 1870 et d’une guerre perdue.  C’est à cette distance que je situe ma propre mémoire. Celle dont j’ai héritée. 

Au Luxembourg, on  a proposé à des lycéens d’Esch-sur-Alzette de travailler sur un thème du Conseil de l’Europe : « Tous égaux, tous différents », une Campagne qui est passée plus inaperçue cette fois qu’à la fin des années 90’ quand j’étais encore à Strasbourg. 

Qu’est-ce au fond que la mémoire des petits Luxembourgeois ? La réponse est simple sinon évidente : l’enrôlement forcé, et le lien avec Auschwitz et la volonté de dire à la première personne « Quand je me trouve en présence d’un témoin, j’éprouve un profond respect et des sentiments qu’il m’est difficile de rendre par des mots ! » (Mara 18 ans).

De proche en proche, si je puis dire, des étoiles jaunes, aux triangles rouges. „Kauft nicht beim Juden !“ et „Wer ist Herr im Hause?“ sur les murs de la capitale.

Ce sont des exemples de destins luxembourgeois sur lesquels les jeunes se penchent avec l’aide de l’association « Les Territoires de la Mémoire ».  Des panneaux qui assemblent des documents. Des témoignages, des photographies. « Colonie de vacances d’enfants juifs à Emzen, en 1936. Seuls ceux marqués en clair ont survécu à la Shoah. »

Comme un jeu de l’envers. L’image est sombre, illuminée des survivants, Henri, René, Isi, Gerda, Ellen, Jacques, Sonia, Léon, Rachel, Nini et Norbert. A portée de mémoire, les grands-parents de ces lycéens d’Esch, ou ceux de leurs copains…Puis plus loin… »2.848 enrôlés luxembourgeois n’ont pas survécu à la guerre ».  

On inaugure le siècle des génocides… On cite Robert Badinter : « L’enfant juif gazé ou l’enfant tutsi égorgé sont tués parce qu’ils sont nés Juif ou Tutsi. Leur appartenance à l’humanité est, au regard de cette qualité, niée par leurs bourreaux. Dès lors, c’est toute l’humanité qui est fondée à réclamer justice en leur nom. » (2001). 

Face à la violence, des objets, des collages, des affiches, des visages disparus. La voix de deux ministres qui inaugurent l’exposition, et le théâtre des enfants.

Et comme on dit au cinéma : fondu au noir.

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