Lundi 17 septembre 2007, Luxembourg, comme si rien ne s’était passé

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Le Luxembourg parfois m’embête. Surtout lorsque je regarde ce que je laisse derrière moi à Paris. C’est comme si une grande course automobile régnait sur la planète entière et que je me réfugie à l’ombre d’un platane, le dos tourné à l’événement. 

Ne rien savoir. Ne pas regarder la télévision. Ne respirer que le bon air de ma vallée. Surtout ne se mêler de rien.  Partir à l’aube et rentrer tôt. Savoir que le soir, la famille se retrouvera toute ensemble, unie dans l’ordre immuable du temps et du repas chaud. 

Pourquoi faudrait-il en effet se soucier du monde ?  Et est-ce que les Luxembourgeois s’en soucient réellement eux qui ont acquis un niveau de vie inégalé ? Et pourquoi, sauf exception, se soucieraient-ils de ce que nous avons entrepris sur leur territoire ? Des billevesées, des égarements.

Le coup de patte du vent sur un peuple de souris ! 

Pas d’amertume.  

Juste quelques livres achetés à Paris. De quoi rêver, en attendant que je puisse les lire tranquillement. Quand tout ce qui m’accapare et me ronge le cerveau sera terminé. 

Un peu de rêve pourtant, au détour d’une phrase. 

Ce que j’aime le plus chez Alessandro Barrico ? Les conversations qui campent plusieurs personnages dans leurs différences et leurs passions insolites. Gagner de l’argent avec les vers à soie, ou devenir fou à en mourir d’une route ou d’une piste, une passion qui conditionne totalement le regard et l’amour, au-delà du temps. La ligne du corps d’une femme, comme la route qui monte à l’assaut d’une colline et le dos d’âne où on s’envole.

Avec le corps des femmes, on s’envole toujours, en effet ! 

Il y a bien sûr un peu de l’extraordinaire baroque de « cent ans de solitude » dans ce roman de 2005 « Questia storia » qui vient seulement de paraître en traduction française sous le titre « Cette histoire-là ». Mais aussi de l’amour qui traverse le temps à l’époque du choléra. Un peu d’Amérique du Sud, donc et d’influence de ses meilleurs écrivains. Mais il s’agit aussi d’un grand roman qui se suffit à lui-même car il se joue de ces influences pour nous égarer. Des personnages magiques et équivoques qui se romancent eux-même et du souffle, beaucoup de souffle.

Tout le contraire du calme Luxembourg aujourd’hui. Mais comment était donc le Luxembourg du temps de l’émigration et de la Première Guerre Mondiale ? Un pays vivant et transitoire, capable de s’exporter pour se survivre ? 

Les conversations, donc ! Où il est question de l’avenir incertain de l’automobile – de la piste, donc, de la course et du parcours sinueux et de la création d’un garage dans le quasi désert : 

« L’homme en cache-poussière marchait lentement. Il s’abritait de la pluie sous un grand parapluie vert, ce qui lui donnait une vague touche irréelle. Prophétique, si on veut. Il arriva devant le garage et resta quelques instants à regarder, inexplicablement, ce petit garçon et la bicyclette. Puis il lut l’enseigne. Il la lut lentement, l’air de déchiffrer une inscription de l’Antiquité. A la fin ses yeux descendirent sur Ultimo. 

– C’est vrai que vous avez de l’essence, ici ? 

Ultimo se tourna vers son père. Libero Parri faisait semblant de compter ses pneumatiques 

– C’est vrai, dit-il du ton de celui qui en a marre de toujours répondre à la même question. 

L’homme au cache-poussière ferma son parapluie et vint se mettre à l’abri, près des pneumatiques.Il resta un peu là, à regarder la campagne se noyer, autour d’eux. Puis il se tourna vers Libero Parri. 

– Je ne voudrais pas être discourtois, mais quel putain de sens ça peut bien avoir, d’ouvrir un garage au milieu de cette gadoue ? 

– Nous comptons grandement sur les couillons qui se trouvent sans essence au milieu des champs. 

L’homme fixa Libero Parri comme s’il commençait seulement à le voir. Puis il ôta un de ses gants et tendit la main. 

– Très heureux, comte D’Ambrosio. Ne vous faites pas trop d’illusions : je ne suis pas aussi couillon que j’en ai l’air. 

– Libero Parri, enchanté. Je ne me fais pas d’illusions. 

        Parfait.

        Parfait. 

Des années plus tard, ils seraient dans les journaux, côte à côte, devenus presque un nom unique : D’Ambrosio Parri. Mais ils ne pouvaient pas encore le savoir. Ils en étaient seulement au début. 

– Vous avez vraiment de l’essence ?

– Autant que vous en voulez.

– Et un bain chaud ? » 

Une histoire se noue dans l’équivoque du sens des mots. J’ai besoin de cette équivoque là, comme d’une épaule aimée où poser ma tête.

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