Samedi 1er septembre 2007, mémoire et rêves

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Avant de retrouver le groupe de jeunes à son arrivée à Trèves, je mets en pile les quelques livres ramenés de Paris. Ceux des étagères orphelines, ceux qui se sont perdus là, derrière les ouvrages sur le cinéma et les autres romans que Marie avait superposés. 

Le hasard fait la part au rêve. C’est d’ailleurs souvent le cas.  D’un côté « Le palais des rêves » d’Ismail Kadaré, de l’autre « Les deux fins d’Orimita Karabegović » de Janine Matillon. Tous deux nés dans les années 90 ; à deux extrémités de l’histoire d’un grand espace européen déchiré.  Tous deux tordus par les sursauts des grands empires ; de ceux où un regard contrôle tout d’un bout à l’autre de l’espace et surtout dans les têtes. 

Contrôler les rêves en pensant que l’on contrôle les corps et les passions. Contrôler les rêves pour éviter toute révolte. Parce que penser, ou écrire, c’est déjà un acte de protestation. Contrôler les corps, les forcer, les torturer, les violer, pour susciter des rêves fous, des rêves suicidaires ; ou une obéissance sans limite. Le rêve suprême, celui de Farhenheit. Détruire l’incontrôlable ; les livres, ces pensées obscures de philosophes qui se contredisent, de poètes qui échappent au réel. Et éviter la contamination de tous les cerveaux qui seraient susceptibles d’être happés par ces livres maudits. Farhenheit à l’échelle des Balkans. 

« Il avait mis de côté une quarantaine de rêves qu’il avait jugés dépourvus d’intérêt. La plupart lui semblaient avoir été suscités par des soucis quotidiens, d’autres lui paraissaient fabriqués de toutes pièces, mais sans qu’il en fût tout à fait convaincu :il ferait bien de les relire. En vérité, il avait déjà lu chacun d’eux à deux ou trois reprises, mais, malgré tout, il n’était pas encore assuré de son jugement… » I.K 

« Toutes les fonctions étaient intactes, même à première vue la mémoire. Elle la sondait sans relâche et avec un soin maniaque. Elle lui réclamait des scènes de sa petite enfance, dans les montagnes, au dessus de Sarajevo, et aussitôt après elle allait y chercher dans les moindres détails les menus événements de son séjour à Zagreb, où elle était encore il n’y avait pas trois semaines. Elle exigeait d’y retrouver la voix de sa grand-mère morte il y avait au moins quinze ans et en même temps la voix de tous ceux, connus ou inconnus, qui avaient croisé son chemin pendant la guerre de Croatie, puis pendant celle de Bosnie-Herzégovine, qu’elle vivait maintenant, jour après jour, heure par heure. Mais elle avait beau se prendre la tête à deux mains ou se la taper contre un mur ou une table (sans oublier toutefois de se faire observer qu’elle n’ignorait pas que ces gestes avaient peu de chance d’être efficaces), sa mémoire répondait à tout mais elle ne lui livrait pas le secret du cauchemar, sa mémoire ne lui disait pas à dater de quel jour, à la suite de quel événement ce cauchemar, maintenant récurrent, était apparu pour la première fois. Elle en était sûre : il s’était passé dans la guerre quelque chose de pire que la guerre. Mais elle ne pouvait trouver quoi. »  J.M.

Les rêves de mes parents dans les bombardements, dans leur éloignement à deux extrémités d’un empire nazi, temporaire, mais meurtrier. Les rêves de mes grands parents, séparés à jamais par un obus . Et dans quel morceau de terre labourée ? Des guerres à portée de mémoire. Des rêves empruntés au bord de la nuit, entre un père et ses enfants. De part et d’autre d’une autre frontière.  Celle de l’âge, qui parfois, est un espoir de pont jeté.

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