

Le mardi de la Pentecôte approche. Je saurai alors mardi matin comment le petit comité de réflexion qui se penche sur l’idée d’un itinéraire saint Willibrord a avancé. Cela fait plus d’un an ; juste au moment de partir vers la conférence des ministres du tourisme à Vienne, que le Curé Doyen d’Echternach, aidé de Georges Calteux et de quelques autres amis m’a présenté l’idée de cet itinéraire dédié à cet évêque venu d’Irlande, qui avait passé quelque temps à évangéliser les Frisons et auquel Irmine de Trèves offre à la toute fin du VIIe siècle un domaine qu’il fera prospérer au cours d’une vie qui se prolonge de manière remarquable jusqu’en 739, à l’âge de 81 ans.
Ainsi, sur un site marqué par les Romains, se met en place un complexe abbatial qui marque, par la personnalité de son fondateur, un point focal dans un grand cercle qui comprend la Belgique actuelle, une partie des Pays-Bas et de l’Allemagne, sans compter les prolongations de l’espace rhénan.
Un scriptorium naîtra, dont les plus belles œuvres sont présentées dans le musée de l’Abbaye sous le nom de Codex Aureus.
Au-delà de cette visite guidée – que l’on fera mieux de suivre dans le site que nous finissons de mettre en place sur les itinéraires culturels dans la Grande Région-, et de la présence forte de cette abbaye avec laquelle je vis une grande partie de l’année, je voulais me féliciter du fait que, sans que j’en sois pour rien, la ville, travaillée par le virus de 2007 a fait venir une exposition sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle financée et, autant que j’ai pu m’en apercevoir, étroitement contrôlée par la Caixa.
Il faut dire que depuis déjà plusieurs années, l’idée de tracer des chemins de saint Jacques à Luxembourg travaille une association. Aucun doute que des pèlerins soient passés par les voies romaines et les voies plus modernes et que beaucoup se soient recueillis à Echternach, mais je ne connais à ce jour aucun témoignage écrit. Je reste donc curieux, car d’autres saints ou d’autres personnages – Willibrord justement – méritaient l’intérêt de la création de nouveaux chemins.
Le plus drôle est que, le lieu d’accueil prévu, la maison de la culture et du tourisme qui se profile, n’étant pas terminée, une construction temporaire, genre bâtiment de foire, l’accueille dans l’enceinte de la villa romaine…Revanche de l’histoire.
De cette exposition, qui a son mérite, celle d’être littérale et de s’adresser directement à chacun – par la présence d’objets en trois dimensions, d’ambiances reconstituées de marchés et de chantiers d’architecture romane – pour donner l’envie de découvrir l’espace du chemin et de celui de la cathédrale de Santiago, mais qui fera sursauter plus d’un spécialiste, je ne veux rien dire. J’en ai visité de semblables sur d’autres sujets. Ce sont des approches de l’interprétation qui se basent sur un certain savoir-faire d’évocation et passent du trompe l’oeil au trompe sens avec habileté, en apportant de grands repères indispensables.
Je la prendrai comme un acte politique, dans lequel je n’ai aucune part, et je l’accueille comme une sorte de réconciliation avec mon lieu de vie. Tant mieux si d’autres ont eu cette idée, elle se place exactement là où elle cherche un point d’effet ; déclencher l’attirance touristique.
L’inauguration, en dehors de me permettre de raconter à quelques ministres tous les itinéraires transfrontaliers auxquels nous songeons avec Georges Calteux, saint Willibrord, saint Martin, et les influences de l’Abbaye d’Echternach sur l’espace rural, m’a permis de rencontrer le bourgmestre et les échevins de cette cité où je vis depuis bientôt six années en continu.
Je suis soudain devenu, par la grâce de saint Jacques, un citoyen connu de ses édiles et du coup, pour certains des ministres présents, un Luxembourgeois d’adoption. Il faut certainement de tels moments pour comprendre que si on peut se consacrer à sa propre mémoire, ce que j’essaie de faire le plus régulièrement possible, il faut que des circonstances singulières vous fassent entrer dans une mémoire territoriale. Cela ne se décrète pas, mais doit devenir une évidence. Il m’a fallu quatre années à Strasbourg pour me sentir citoyen de cette ville, et je m’en sens toujours aussi proche. Le travail sur le « jardin des deux rives » m’y a singulièrement aidé, dans la durée.
Il aura fallu un peu plus de cinq années ici, et presque dix depuis que je suis arrivé sur ce territoire luxembourgeois. J’ai recueilli des milliers de photographies et de témoignages qui sont à la base de l’illustration d’un site web prêt à être confronté au public. Prenons comme un gage d’intégration que nous allons bientôt l’inaugurer.
Au fond, il faut certainement que je retourne voir cette exposition, sans le discours trop appuyé du secrétaire général de la Caixa, en dehors de l’ambiance d’une délégation galicienne coachée par un ambassadeur, pour chercher ce que je peux y trouver pour les événements sur lesquels je travaille pour les mois à venir. Une exposition à Troyes à partir de juin, avec une mini rencontre, un colloque au Puy-en-Velay fin septembre, et la recherche d’un événementiel plus symbolique le 23 octobre à Compostelle, vingt années après la Déclaration initiale du programme dont je me sens aujourd’hui dépositaire. Cette inauguration m’aura également permis de rencontrer l’interlocuteur galicien avec lequel je devrais m’entendre. J’y reviendrai.
Mais vivre à Echternach, c’est aussi bénéficier du dialogue avec le Festival, rappel que les moines ne faisaient pas que des enluminures, mais enrichissaient le répertoire de la voix, et pour certains, retranscrivaient les chants des pèlerins et des livres de pèlerinage. Intelligemment, Cyprien Katasaris, le directeur artistique qui sait orienter ses invitations en fonction de l’actualité, a saisi l’occasion de cette exposition, pour ramener à lui ce que les musicologues ont pu le mieux faire pour retrouver le sens de la musique des XIIIe et XIVe siècles. Jordi Savall et La Capella Reial de Catalunya sont donc revenus vendredi soir avec une subtilité indicible sur la période d’Alphonse X le sage et les chants du monastère de Montserrat qu’ils défendent depuis si longtemps.
Je connaissais déjà le travail d’Anne-Marie Deschamps et de son ensemble Venance Fortunat qu’Alain Ohnenwald invite souvent à Saint-Jean d’Angély pour des formations et des concerts. Un travail d’une très grande pureté. J’ai eu l’occasion d’acheter à Madrid le disque publié l’an passé par John Eliot Gardiner et The Monteverdi Choir (Pilgrimage to Santiago), pur, lui aussi et d’une grande austérité. Tous connaissent les lieux de pèlerinage. Gardiner parle de l’Aubrac « avant de redescendre vers les incomparables beautés de Conques, la cathédrale fortifiée de Rodez et l’abbaye cistercienne de Loc-Dieu » et de poursuivre sur le camino francès … « Cet enregistrement, réalisé après notre retour à Londres, est l’occasion de partager notre expérience de la musique vécue de l’intérieur tout au long de la route, en restituant l’enchaînement des entrées processionnelles, des chants des pèlerins et des antiennes qui précédaient et se mêlaient à la glorieuse polyphonie que nous avons chantée dans les églises de France et d’Espagne. »
Codex Calixtinus et Llibre Vermell dialoguent ainsi librement dans une mémoire sans pareille.
Jordi Savall sait tout de la polyphonie et sait utiliser l’acoustique de la basilique. Mais par rapport à ce que j’avais déjà vu et entendu, j’ai trouvé là quelqu’un, qu’on me permette, qui me donnait l’impression d’avoir été prendre sa musique et ses instruments sur le portique de la Gloire et d’y avoir puisé de la joie. Il sait la faire partager, comme dans une improvisation maîtrisée et de toute cette journée, c’est lui qui aura finalement le mieux donné l’essence du chemin…une projection joyeuse, risquée, mélangée d’emprunts, bouillonnante entre chrétienté rigoureuse et bouffée d’Andalus.
Vraiment, une merveille.